Table des matières

Titre
Péage ou gratuité : telle est la question
Des observations récentes et leurs observations
A/
B/
C/
D/
E/
F/
L’application de la théorie économique et de calcul d’amertume pour des projets futurs
Conclusion

Vincent Piron

Vincent Piron
Directeur de la Stratégie et des Investissements, VINCI Concessions

Le redéveloppement récent des financements de projets d’infrastructures de transport et des opérations en partenariat public-privé a fourni une base d’information considérable, dont les grands auteurs économiques tels que J. Dupuit et M. Allais auraient juste ose rêver ! L’examen de ces informations a permis de mettre en évidence une notion symétrique de celle de surplus : l’amertume, décrite dans « Transports n° 402 ».

Grâce à l’analyse détaillée de 5 exemples d’ouvrages récents, le présent article montre que l’utilisation pratique de la notion d’amertume devrait contribuer à fonder les logiques de décision en matière de tarification, et réduire l’imprécision des prévisions de recettes. Le surplus économique de J Dupuit, complété par l’analyse politique de l’amertume, et combiné avec une estimation réaliste des taux réels d’actualisation donne une clé rationnelle pour les processus de décision de la puissance publique dans le domaine de la réalisation des infrastructures de transport, et la prise de risque correspondante de l’entreprise privée.

Péage ou gratuité, telle est la question ?

Le présent article complète les réflexions de Claude Abraham, qui a posé les termes de comparaison entre différentes lois comportementales et développé dans un cadre économique la notion « d’amertume » telle qu’elle avait été exposée au séminaire organisé par la Communauté urbaine de Lyon et par le LET à propos du contournement Nord à péage de la ville. Il complète également une étude sur l’acceptabilité politique des péages publié dans le revue « Transport » n°402; dans laquelle nous avions évalué les différents optima (pour la collectivité, pour le concessionnaire de l’ouvrage et pour les automobilistes) en fonction du tarif de péage.

En décembre 2000, lors du séminaire de Lyon, les exposés se sont principalement concentrés sur les aspects administratifs, financiers, et juridiques de l’opération, mais n’ont pas réellement abordé la question de la rentabilité économique de l’ouvrage, ni réellement celle du choix du mode de financement.

Quel est l’intérêt de mettre un péage sur un ouvrage par rapport à la méthode classique de le construire et de l’entretenir entièrement sur fonds publics ? La communauté lyonnaise devra résoudre ce problème pour la réalisation du contournement ouest de l’agglomération, , en évitant les prises de position doctrinales qui ne contribuent guère à la solution des problèmes

La réponse à cette question nécessite la connaissance de plusieurs éléments :

  • la loi de la demande en fonction de la désutilité (coût généralisé) ;
  • la réaction politique des habitants et son interprétation par les décideurs ;
  • le surplus engendré par la construction de l’ouvrage ;
  • le différentiel plus ou moins important du taux d’actualisation des fonds publics par rapport aux fonds privés .

Des observations récentes et leur interprétation

La notion d’amertume a été créée pour représenter une grandeur qui n’est pas strictement
« économique », mais comportementale. Elle reflète une démarche psychologique complexe, à deux niveaux. Le premier niveau est celui de l’automobiliste contribuable et non client de l’ouvrage à péage. Le deuxième niveau est son « image »dans l’esprit des décideurs. Il correspond à l’interprétation que les décideurs de la politique tarifaire (personnalités politiques en général) vont faire à un moment donné de ce qu’ils pensent être la réaction du contribuable non client, automobiliste ou non Pour simplifier le texte et rester cohérent avec l’article précédent de la revue « Transport », nous appellerons globalement« exclus » les automobilistes non clients.

Tout ce qui concerne les transports concerne également la vie quotidienne et se trouve donc particulièrement sensible politiquement : c’est là qu’intervient la notion duale du personnage politique, qui interprète ce qu’il pense être la réaction des gens, clients ou exclus, et la transmet aux media, à moins que les média ne contribuent à la formation de son opinion.

Le rôle fondamental des media devient alors évident, car ils constituent un amplificateur direct des premières réactions des premiers clients, ou des premiers exclus. Si la campagne de communication sur l’ouverture d’un ouvrage à péage a été bien faite, avec toutes les explications nécessaires données, le risque de dérapage médiatique à l’ouverture sera minime. Sinon, la situation peut devenir incontrôlable.

Les sentiments des exclus par rapport au péage recouvrent probablement :

  • Le regret de ne pas être suffisamment riche pour s’offrir un trajet sur une voie à péage ;
  • La jalousie vis-à-vis des « autres qui peuvent se le payer » et surtout ;L’impression que les impôts ont déjà financé une partie de l’ouvrage alors que le péage rejette ceux qui ne sont pas assez riches pour en profiter. Cette dernière démarche revient à dire que les
    « exclus» le ressentent comme un impôt qui fonctionnerait à l’envers, prélevant de l’argent sur le plus pauvre pour donner des avantages au plus riche.Il faut enfin noter que la notion « d’exclu » est délicate. Elle s’applique à un déplacement et non à une personne. En effet, une personne qui prend l’ouvrage à péage une fois de temps en temps lorsqu’elle est pressée (le jour où son consentement à payer pour un trajet particulier à une heure particulière est suffisamment élevé pour que le tarif de péage lui convienne) mais pas quotidiennement est-elle un exclu ?En caricaturant, on pourrait dire qu’au sens du modèle, un « pauvre pressé » est plus riche qu’un « riche indifférent au temps », mais il l’est plus rarement. La notion d’exclus n’est donc pas simplement une ségrégation sociale : ce sont les déplacements à faible valeur ajoutée qui constituent les exclus, et non les personnes elles-mêmes! Il est clair cependant qu’une personne à revenus modestes aura plus de déplacements exclus qu’une personne à revenus plus confortables, ou dont les déplacements sont remboursés.

 

Méthodologie

L’élasticité

Le rêve de tout planificateur d’infrastructure de transport est de connaître la loi de la demande en fonction du coût sur son itinéraire. Nous avons tenté d’appliquer strictement la loi de la demande et la théorie de Jules Dupuit aux ouvrages à péage. Pour évaluer cette loi, il y a une possibilité : examiner la variation du volume de déplacements lors de changements de coût généralisé (ou désutilité) pour des trajets se situant dans un corridor donné et bien connu. De façon concrète, cela signifie que l’on dispose de deux points expérimentaux de la courbe de demande : coût généralisé et volume de trafic initial pour le premier point, puis nouveau coût généralisé et trafic après changement de tarif ou ouverture d’un nouvel itinéraire qui augmente la capacité et fait baisser le coût généralisé pour le second. Il est donc possible de calculer l’élasticité entre ces deux points.

Mais deux points ne suffisent pas pour définir une courbe ! Nous avons alors fait une hypothèse simplificatrice considérable: nous avons supposé que l’élasticité epsilon était constante

A partir de cela, le sujet devient facile :
L’équation epsilon = (dy/y)/(dx/x)=constante s’intègre facilement et fournit la courbe de demande :

a

y =——— x -•

Cette famille de courbe dépend des deux paramètres a et epsilon, qui seront déterminés à partir des deux points de mesure. On peut ensuite interpoler et extrapoler cette courbe dans des limites raisonnables.

Les conditions d’application de la méthode.

Utilisation de la courbe de demande

A partir de deux points de mesure, la courbe de demande a été établie. Bien entendu, il n’est pas question d’extrapoler cette courbe en dehors d’un domaine de validité raisonnable, tant du côté des fortes désutilités que de celui des faibles désutilités. En effet, la forme de la ville et le fonctionnement urbain dépendent de facto de la désutilité du transport et si la désutilité dans un corridor est trop grande, la ville se développe alors dans un autre direction. Nous avons arbitrairement coupé la courbe à une désutilité égale à trois fois la désutilité observée avant mise en service de l’ouvrage. Cette décision revient à limiter le surplus initial du à la voie existante à un niveau arbitraire. Il faudra donc interpréter les valeurs de surplus en termes absolus, c’est-à-dire en différence par rapport à un niveau de référence, et non en termes relatifs, tels qu’un pourcentage d’augmentation du surplus.

De même, pour l’extrapolation, nous n’avons jamais dépassé la zone de tarif nul, les autres facteurs du coût de déplacement étant en dehors des moyens d’action de la politique de tarification de l’ouvrage.

A titre de démonstration, comme à titre opérationnel car les cas présentés sont réels et certains en cours de discussions à l’heure où ces lignes sont écrites, nous avons présenté quatre niveaux de désutilité :

  • le premier avant mise en service de l’ouvrage ;
  • le deuxième avec la tarification initiale de l’ouvrage ;
  • le troisième avec un autre tarification, effectivement appliquée dans le cas de Lyon, théorique dans les autres cas ;
  • le quatrième avec gratuité de l’ouvrage.
    Pour chacun des cas, nous avons calculé la grandeur économique classique (surplus) etl’image politique (amertume)Pour l’estimation du consentement à payer, la grande variété des comportements a été résumée dans une valeur moyenneLa méthode que nous avons retenue est extrêmement simple et globale. Tout ce qui a été dit dans les articles précédents (Transports n° 377, 379, 385, 393 et 402) sur la dispersion de la sensibilité des gens vis-à-vis du péage et sur les lois de distribution du trafic en fonction des coûts généralisés des itinéraires est vrai, mais nous avons du simplifier le sujet. Nous ne prendrons en compte pour le consentement à payer par unité de temps que la valeur finale moyenne qui résulte d’un équilibre supposé parfait de la multitude des choix individuels instantanés. Nous avons également supposé que l’ensemble des itinéraires (gratuits ou à péage) qui constituent le corridor étudié avaient le même coût généralisé. C’est l’équilibre théorique que déterminent les modèles de trafic.Les consentements à payer retenus résultent des différentes études qui ont été faites a posteriori pour comprendre le pourquoi des trafics observés pour Lyon (Péage 2), pour Marseille (tunnel Prado-Carénage), pour Lisbonne (ponts sur le Tage) et pour le pont de l’île du Prince Edouard au Canada. Ils sont de 50 F par heure à Lyon et Marseille, de 40 F par heure à Lisbonne et de 90 francs par heure au Canada, cette dernière valeur reflétant simultanément le pouvoir d’achat plus grand au Canada qu’en France, mais surtout le fait que les trajets urbains, fréquents et à courte distance, ont un consentement à payer nettement plus faible que les trajets à longue distance.La variété des déplacements a été résumée dans un déplacement moyenDans un but de simplification, le calcul que nous avons utilisé s’applique à un déplacement moyen, représentatif de l’utilisation du corridor étudié. La détermination de ce déplacement moyen suppose une bonne connaissance du fonctionnement de la zone urbaine, ou de la région dans le cas d’une liaison interurbaine. Si les matrices Origine/Destination sont correctement conçues, ce déplacement moyen est précisément la moyenne barycentrique de l’ensemble des déplacements de la zone de chalandise retenue.Nous avons tenu compte de la croissance générale de la demande entre les années de référence pour les mesures, en supposant un coefficient de croissance de 2%/an entre 1996 et 2000.L’estimation des vitesses a été rigoureuseUn des points essentiels dans l’évaluation de la désutilité est la prise en compte du temps passé (perdu ?) en transport, c’est-à-dire de la vitesse de circulation sur la voie à péage et sur les voies adjacentes complémentaires ou concurrentes suivant le point de vue où l’on se place. Pour être aussi réel que possible, nous avons mesuré des temps de parcours, donc des vitesses sur les itinérairesétudiés. Ce sont des observations de la réalité qui ont fourni la base des éléments de calcul et non des résultats théoriques d’un modèle de trafic.

La grande sensibilité des calculs économiques aux vitesses réelles de déplacement est bien connue. Pour un déplacement porte à porte en zone urbaine, avec une voiture, les vitesses varient entre 15 km/heure et 35 km/heure. La vitesse commerciale du transport en commun varie entre 14km/heure et 30km/heure suivant les modes et les distances.

Nous avons donc fait particulièrement attention à ce paramètre, l’analyse urbaine venant compléter l’analyse transport.

Pas de prise en compte spécifique du degré d’obligation

Nous avons supposé que les divers itinéraires dans le corridor étudié étaient à l’équilibre (désutilité identique). La tarification a été imposée par les décideurs politiques (tarif d’autant plus bas que le degré d’obligation est fort) et se trouve incluse dans le calcul de la désutilité.

Build-up

Nous avons considéré les valeurs du trafic après que les périodes de build-up étaient terminés. Dans le cas de la première tarification du contournement Nord de Lyon, nous avons donc considéré des trafics sensiblement supérieurs à ce qu’ils étaient au moment de l’annulation du contrat privé de concession.

Pas de prise en compte spécifique de la fréquence

La fréquence d’utilisation d’un trajet est un élément essentiel d’appréciation du consentement à payer des automobilistes. Elle n’a pas à être traitée spécifiquement : elle apparaît dans la loi de la demande. Si le coût généralisé (ou la désutilité) diminue, le trafic augmente : les mêmes personnes font des trajets plus nombreux. Par exemple, les tarifs réduits d’abonnement apparaissent naturellement comme étant des trajets à moindre désutilité.

Les résultats

Nous examinerons les résultats obtenus sur cinq corridors, dont deux à Lyon appartiennent au même ouvrage mais n’ont pas la même fonctionnalité et doivent être analysés séparément.

L’ouvrage de Marseille est le tunnel Prado-Carénage, reliant deux autoroutes urbaines en passant sous la colline du centre ville.Son rôle est mixte, urbain et de transit A Lyon, il s’agit du contournement Nord de, connu sous le nom commercial de TEO. Sa partie Ouest a pour but la rénovation urbaine du quartier de Vaise, en allégeant le trafic de la rue Marietton qui le traverse et en doublant le tunnel de la Crois Rousse pour réaliser une liaison Est-Ouest à grand débit. La partie Est a pour but de réduire le trafic sur les berges rive gauche du Rhône en le repoussant en rive droite, dont l’urbanisme est de moindre qualité, à partir de l’échangeur de Croix Luizet, tout en réalisant la liaison Est Ouest citée ci-dessus.

Les ponts sur le Tage, à Lisbonne, ont un rôle mixte, urbain et de transit. L’ancien pont est à prépondérance urbaine, reliant des quartiers anciennement ouvriers, devenus aujourd’hui plus diversifiés, au centre-ville de Lisbonne. Le nouveau pont, d’un tarif plus élevé, voit une clientèle qui comporte nettement plus de transit. L’ensemble de ces deux ponts est traité comme un seul corridor.

Enfin, un ouvrage récent au Canada est fort significatif à étudier : il s’agit du pont de l’île du Prince Edouard, qui a remplacé un ferry en 1997 et pour lequel les données sont disponibles en continuité depuis bien avant l’ouverture du pont. C’est un ouvrage de nature interurbaine exclusivement.

 

Marseille

Le cas du tunnel Prado-Carénage est le cas d’école, simple et bien réussi. Cela ne signifie pas qu’il ait été facile à réaliser pour les différents acteurs intervenant dans la pièce depuis le début de son histoire, mais plutôt que la conception de l’ouvrage, sa réalisation et sa tarification sont en harmonie avec l’urbanisme de la ville et le but initialement assigné à l’ouvrage.

La courbe de demande

On constate sur le graphique une désutilité initiale de l’ordre de 49 francs, avec un trafic dans le corridor de 88 000 véhicules par jour. Après ouverture du tunnel, une période de build-up, et à son tarif actuel, le trafic dans le corridor a atteint 105 000 véhicules par jour. De ces 105 000 véhicules, presque 38 000 utilisent le tunnel à péage. Ce qui montre d’une part que le trafic sur les voies adjacentes a été réduit de 21 000 véhicules par jour et d’autre part que le trafic induit dans le corridor par l’ouverture du tunnel a été de l’ordre de 19% Comme il s’agit principalement de trafic à courte distance, c’est tout le fonctionnement urbain des quartiers à proximité des extrémités du tunnel qui a été modifié. L’opération Euroméditerranée et la rénovation du quartier de la gare en sont les bénéficiaires, ainsi que les arrondissements Sud dont la densité d’activité (population + emploi par hectare) augmente.

La désutilité du déplacement est tombée de 49 F à 31 F. L’élasticité ainsi calculée ressort à 0,5.

On constate également qu’une augmentation de tarif de 2 F n’aurait que peu d’incidence sur la désutilité du déplacement. Le tunnel serait un peu plus fluide, mais plus cher alors que la surface serait moins roulante, dont plus chère également La croissance de la désutilité à l’équilibre serait donc inférieure à celle du tarif.

La gratuité de l’ouvrage ne changerait pas grand chose au trafic dans le corridor : si l’on en croit l’extrapolation de la courbe de demande, le trafic global n’augmenterait que de 8 000 véhicules par jour. En fait, la complexité du réseau routier et la saturation de certaines sections ne le permettrait peut-être même pas

Le bilan économique

Avec les hypothèses telles que présentées ci avant au paragraphe 2.1, le calcul montre que le surplus initial est de l’ordre de 1 497 MF par an. Répétons encore que ce surplus est conventionnel et que sa valeur absolue est difficile à interpréter. Le surplus du à l’ouverture du tunnel Prado-Carénage avec la tarification actuelle est de l’ordre de 380 MF par an, et l’amertume correspondante de 7 MF par an, soit nettement plus faible que la croissance du surplus.

Si l’on augmente légèrement le tarif, en le passant de 13 F moyen par passage à 15 F moyen, on observe bien sur une diminution du surplus collectif, qui décroît de 380 MF à 343 MF par an ,avec une croissance de l’amertume de 7 MF à11 MF. Un raisonnement simple en solde « surplus économique réduit de l’amertume » montre que le solde initial passe de 373 MF à 333 MF, soit une chute de 10% environ.

Les recettes du concessionnaire augmenteraient de 166 MF à 180 MF, soit une croissance proportionnellement beaucoup plus forte. On retrouve bien le résultat classique, exposé en détail dans mon article précédent « Transport n°402 », que l’optimum pour le concessionnaire n’est pas l’optimum pour la collectivité, et que la tarification doit refléter l’équilibre entre les contraintes de la politique de déplacements et celles du financement. On notera qu’au tarif de 13 F, les recettes de la concessionnaire font moins de la moitié du surplus global, alors qu’avec un tarif de 15 F moyen, on dépasse cette moitié.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la mise en place du nouveau régime de TVA au 1/1/01 n’a pas sensiblement modifié le comportement des déplacements professionnels, dont la désutilité a pourtant décru.

Par rapport au coût de l’ouvrage, financement compris, les recettes de 166 MF par an permettent de couvrir les frais d’exploitation et de rembourser la dette, tout en laissant une petite rémunération du capital mis au départ par l’actionnaire. Il faut également dire que la collectivité avait financé les accès au tunnel, ainsi que le percement d’un premier ouvrage, revendu à la concessionnaire pour un prix inférieur à ce qu’aurait coûté sa construction ex nihilo.

On peut dire que le maillon à péage (tunnel Prado-Carénage) s’inscrit dans la continuité d’une liaison (autoroutes aux extrémités + tunnel du vieux port + Tunnel Prado-Carénage + échangeurs) dont le coût est plus du double de celui du tunnel à péage, et que l’ensemble du système fonctionne harmonieusement. Jamais le seul péage d’ouvrage n’aurait pu financer l’ensemble de la liaison. Il en couvre cependant de l’ordre de 40%

Lyon Marietton

Le cas du contournement Nord de l’agglomération lyonnaise est complexe à analyser, car il se compose d’une succession d’ouvrages dont les fonctions ne sont pas identiques, puisqu’il y a plusieurs points d’entrée/sortie. La partie Ouest (tunnel de la Duchère et tunnel de Caluire) a pour fonction principale de créer un accès entre la zone ouest et le centre ville, ce qui permet de supprimer le trafic de transit dans le tunnel de la Croix Rousse et sur la rue Marietton et donc d’achever la rénovation urbaine du quartier de Vaise. La logique est simple et la tarification actuelle a permis à cette partie Ouest de jouer son rôle de contournement.

La courbe de demande

Trafic journalier (en milliers)

Il est assez délicat de définir un corridor dans un tissu urbain relativement bien maillé. Mais la présence du tunnel de la Croix Rousse constitue un point de passage quasi obligé pour les gens de l’ouest qui veulent aller au centre ville, ou de l’autre côté de la ville. Nous avons donc considéré le corridor formé par le tunnel de la Croix Rousse et le contournement Nord (tunnel de Caluire). Initialement de 80 000 véhicules par jour, ce corridor atteint aujourd’hui après build-up 89 000 environ. Mais ce ne fut pas un parcours aisé pour les différents acteurs.

La désutilité initiale du déplacement pouvait s’estimer à 40 F, largement due à la faible vitesse en période de pointe le matin et le soir. A l’ouverture du contournement, la combinaison entre les nouvelles vitesses et le tarif a fait baisser la désutilité de 6 F environ, à 34 F, soit une baisse de 15 %. C’est peu, mais cela correspond bien aux résultats supposés optimisés que proposent les modèles de trafic actuellement utilisés. Les automobilistes l’ont bien senti, d’autant plus que la distance parcourue était courte et le gain de temps faible en valeur absolue.

Le trafic dans le corridor aurait cependant crû de 9 000 véhicules, , à 89 000 véhicules par jour, dont 18 000 dans l’ouvrage à péage et une baisse de 9 000 dans le tunnel de la Croix Rousse. C’est du moins ce que laissaient supposer les études faites après l’ouverture mais avant le changement tarifaire, et en prenant en compte le build-up potentiel.

Après les modifications contractuelles et tarifaires, en partie dues au mécontentement des automobilistes, on observe aujourd’hui un trafic de 100 000 véhicules, réparti entre 48 000 qui prennent le contournement à péage et 52 000 qui utilisent le tunnel de la Croix Rousse. Par rapport à la première tarification, la désutilité du trajet a très sensiblement diminué, passant de 34 F à 27,7 F. Par rapport à la désutilité initiale, la réduction est de 12,3 F sur 40 F, soit 30%. Pour un habitant de Tassin effectuant 50 déplacements par mois, le gain est de 56 5635 F, soit environ 7 000 F par an.

Supposons maintenant une suppression totale du péage, comme demandé avec une belle régularité par un certain nombre d’associations. La désutilité décroîtrait à 23 F, en supposant que la capacité des routes d’accès soit suffisante, ce qui n’est pas évident du tout. Si l’on extrapole la courbe de demande, avec cette désutilité de 23F, le trafic dans le corridor atteindrait 110 000 véhicules/jour, soit seulement 11 % de plus qu’avec le péage d’aujourd’hui. Autrement dit, du point de vue du trafic, la gratuité de ce contournement ne changerait pas grand chose par rapport à la situation actuelle.

Le tunnel de la Croix Rousse a vu son trafic diminuer très sensiblement, de 80 000 à 55 000. Sa fluidité a beaucoup augmenté, et les rues adjacentes se sont vidées du trafic parasite de transit qui les perturbaient et dégradaient simultanément la vie du quartier.

Le bilan économique

Le bilan économique de l’ouvrage est très satisfaisant aujourd’hui, mais cela n’a pas été le cas au début. Le surplus initial conventionnel est de 951 MF, le surplus lors de la première tarification est de 1071 MF, soit uniquement 123 MF de mieux. L’amertume est en revanche considérable puisqu’elle atteint –28 MF, rendant le bilan global à peine positif (93 MF diminué des coûts de perception du péage, qui se montent à 55 MF).

La seconde tarification a fortement changé l’équation économique. Le surplus atteint 1187 MF, soit un gain de 236 MF par rapport à la tarification initiale, et l’amertume est divisée par4. Le solde positif monte à 230 MF.

 

Une tarification nulle augmenterait le bénéfice économique de 100 MF par rapport à la tarification actuelle, mais ferait chuter les recettes de 137 MF.

Bien entendu, ces valeurs ne prennent pas en compte le bénéfice urbain du à la réduction du bruit, diminution de la pollution et réduction du trafic externe aux arrondissements de Vaise et de Lyon 6°. Cet avantage avait été estimé d’après la croissance du prix des appartements à un strict minimum de 700 MF en tout (non pas par an mais une fois pour toutes).

L’élasticité est de l’ordre de 0,7. Les recettes sont supérieures avec une tarification basse, mais l’excédent brut d’exploitation (recettes diminuées des dépenses d’exploitation) ne représente guère que 80 MF et ne peuvent amortir que 22 % environ du coût de l’ouvrage. C’est une valeur classique que nous retrouverons dans d’autres cas.

Lyon Croix Luizet

Le cas de la partie Est du contournement Nord de Lyon est très différent de celui de l’Ouest. Il s’agissait d’améliorer l’environnement du parc des expositions, en transférant sur le rive droite du Rhône le trafic de transit qui utilisait le tunnel de la Croix Rousse, ainsi que celui à destination du centre-ville de Lyon et de Villeurbanne. Pour ce faire, la capacité des voies existantes a été réduite, les automobilistes se trouvant obligés à la fois d’utiliser un ouvrage à péage et de subir un allongement de leur trajet. De plus, cette obligation se trouvait s’appliquer non pas aux quartiers aisés de l’agglomération, mais aux quartiers plutôt pauvres, là où le consentement à payer est le plus faible. Les réactions du public au péage furent fort négatives et, pour différentes raisons, le pouvoir politique a du trancher vite, ayant ainsi tendance à prendre en compte plus que nécessaire les premières réactions de rejet.

Le péage sur le trajet conduisant au centre-ville a été supprimé, celui de transit a été maintenu, dans la continuité du tunnel de Caluire. La courbe de demande sur le transit est donc la même que celle du paragraphe précédent. La courbe présentée ci-dessous montre la demande sur le trafic à destination du centre-ville.

Initialement, le trafic en provenance de l’Est Lyonnais utilisait principalement le boulevard Laurent Bonnevay en rive gauche du Rhône et un réseau de voies à faible capacité dans Villeurbanne, pour une désutilité de 27 F environ et un trafic de 83 000 véhicules/jour dans le corridor, et dont la majeure partie était sur le boulevard L Bonnevay. En parallèle à la construction du contournement Nord a été conduite une opération de réduction de la capacité des voies gratuites existantes qui a fait croître la désutilité à presque 31 F. Par conséquent, le trafic a diminué de 10 000 véhicules/jour, qui se sont reportés sur d’autres axes routiers de l’agglomération.

La suppression du péage a réduit la désutilité à 23 F, et le trafic est revenu, basculant massivement sur le nouvel itinéraire, qui a vu son trafic passer de 8 000 à 60 000 véhicules/jour. Le résultat recherché lors de la décision de construire ce périphérique a donc été atteint, le trafic résiduel en rive gauche n’étant plus que de 38 000 véhicules environ.

La courbe de demande

On voit bien ici le grand danger d’une mauvaise utilisation des modèles de trafic. La matrice O/D et le logiciel de traitement des données correspondantes imposant de faire passer le trafic soit sur des voies à capacité réduite, donc à vitesse réduite, soit sur la voie à péage, a défini un péage optimum beaucoup trop élevé, sans rapport avec la courbe de demande et sans rapport avec les contraintes politiques résultant du degré d’obligation d’utilisation de l’ouvrage. La flexibilité des itinéraires et des horaires de la demande est bien supérieure à ce qui avait été modélisé. Le niveau de recettes attendues a été surestimé de ce fait dans un rapport de 1 à 10.

Le bilan économique

Le bilan économique de la partie Est du contournement Nord de Lyon est finalement positif, malgré d’une part une erreur initiale de tarification et d’autre part un manque d’opportunité de laisser à péage la liaison entre la rive gauche et le plateau des Dombes, cette liaison aurait pu rapporter de l’ordre de 25 MF par an à la Communauté urbaine. L’erreur de conception initiale est bien mise en évidence par la notion d’amertume.

Du strict point de vue de la politique des transports, le bilan économique de la première tarification est fortement négatif (-76 MF/an), mais ceci n’est pas choquant dans la mesure où le but poursuivi n’était pas l’amélioration des transports, mais celle de la qualité urbaine de la zone. En revanche, ajouter encore 26 MF d’amertume rend la perte égale à 102 MF par an, ce qui devient un coût trop élevé à porter par principalement les gens de l’Est de l’agglomération pour la simple amélioration des berges en rive gauche entre Croix Luizet et le Palais des Congrès.

La suppression du péage sur ce mouvement a fait basculer le bilan transport de presque 200 MF : il devient positif de 81 MF.

Les recettes annuelles, qui auraient été de 23 MF avec le système initial, ont été réduites à zéro. L’élasticité reste de l’ordre de 0,7, et un peu supérieure lorsqu’on va dans le sens d’une réduction de désutilité. Les recettes potentielles sont marginales par rapport au coût de l’ouvrage, mais c’est normal car le gain obtenu est spécifiquement urbanistique et non relevant du domaine des transports.

Lisbonne

Les franchissements du Tage à Lisbonne sont le dernier exemple urbain de notre article. Lisbonne est une agglomération de 2,5 millions d’habitants, dont 1,9 habitent en rive droite et 0,6 million en rive gauche. Un premier pont a été construit en 1966, principalement pour desservir la zone industrielle en fort développement (chantiers navals, sidérurgie, automobile) et un deuxième en 1998, car le premier était saturé et qu’il se développait une nouvelle zone d’activités au Nord de la ville, ainsi qu’un trafic de transit interurbain.

La courbe de demande

Le pont ancien, appelé pont du 25 avril, avait deux caractéristiques : une très forte saturation (capacité de 5 voies, écoulant difficilement un trafic de 150 000 véhicules/jour), et un tarif très bas (5 F pour un aller-retour, soit 2,5 F par passage). Pendant la construction du nouveau pont, l’ancien a été élargi, passant à 6 voies et écoulant un trafic de 155 000 véhicules/jour, dans de bien meilleures conditions. Le nouveau pont (pont Vasco de Gama) a une tarification double de celle de l’ancien, et son trafic atteindra rapidement 55 000 véhicules/jour.

Le corridor que nous avons considéré est le franchissement du Tage, le trafic étant la somme des trafics des ponts. Il n’a pas été tenu compte de l’ouverture simultanée d’un transport en commun ferré pour traverser le Tage, notamment parce que ce dernier est plus cher d’utilisation que la voiture, et qu’il y a eu un transfert du transport par bus vers le transport par train.

Trafic journalier

L’extrême congestion du trafic sur l’ancien pont réduisait la vitesse moyenne à 10 km/heure environ, ce qui, avec un consentement à payer de 40 F/heure, donnait une désutilité de 60 F par déplacement, dont 2,5 F pour le péage. A l’ouverture du nouveau pont, et après l’élargissement à 6 voies, la vitesse moyenne a fortement augmenté et la désutilité par déplacement s’est réduite à 30 F sur l’ancien pont et 40 F sur le nouveau. Le péage moyen correspondant est passé à 3,2 F, soit 10 % seulement de la désutilité moyenne. Le trafic d’ensemble sur les franchissements a atteint 210 000 véhicules/jour.

Si le gouvernement décidait de mettre les deux tarifs à égalité, doublant ainsi le tarif de l’ancien pont, la courbe de demande indique une légère baisse du trafic, de 155 000 à
148 000véhicules/jour.

La mise en gratuité des deux ponts induirait une augmentation du trafic de 10 % environ, à 229 000 véhicules/jour.

Le bilan économique

Du point de vue global, le bilan économique de la construction du pont Vasco de Gama est extrêmement positif. Que ce soit dans sa dimension transport ou dans sa dimension urbaine, l’apport de cet ouvrage dans le fonctionnement de la ville est considérable. Il se chiffre à un milliard de francs par an pour le seul aspect transport, même sans prendre en compte l’opportunité de développement de la rive gauche et la valorisation des terrains.

Le tarif actuel est tellement bas que l’amertume est très faible (4 MF pour un surplus de 1023 MF). Doubler le tarif sur l’ancien pont doublerait l’amertume, laissant cependant un surplus global de 930 MF). Le surplus global serait réduit de 89 MF. En revanche, les recettes augmenteraient considérablement, passant de 242 MF à 372 MF par an. Ceci signifie que les 130 MF de différence, qui sont aujourd’hui portés par les contribuables de l’ensemble du pays, se concentreraient sur les clients des deux ponts dans une plus grande logique économique.

Les recettes annuelles de l’ancien pont étaient de 143 MF, elles pourraient atteindre 370 MF, et sans doute encore un peu plus (400 MF) sans réaction politique négative si la tarification était plus finement adaptée à la clientèle. L’élasticité est encore de l’ordre de 0,7.

En tenant compte des dépenses d’exploitation, l’excédent brut d’exploitation pourrait être égal à 300 MF, ce qui permettrait de financer environ 3300 MF, soit la moitié du coût du pont Vasco de Gama. Les recettes spécifiques de ce pont n’auraient permis de couvrir que le quart de cette somme, soit 12,5 % du coût de l’ouvrage. Mais le mode de financement aurait alors été différent…

Pont de l’Ile du Prince Edouard au Canada

e pont relie l’île du Prince Edouard, province canadienne, au continent. C’est un pont fédéral et non dépendant d’une seule province. Il a été mis en service en 1997, pour remplacer un ferry subventionné par le gouvernement fédéral. Sa fonction est interurbaine, son trafic est faible : le graphique est en véhicules/mois et non en véhicules/jour ! Il était donc intéressant de voir si la théorie de Jules Dupuit s’appliquait aussi bien à des trajets peu fréquents et à longue distance qu’à des trajets urbains, fréquents et courts.

La courbe de demande

Nous avons comparé jour par jour les trafics passant sur le ferry en 1996 à ceux de 2000, considérant que la période de build-up était finie. Malgré une très forte saisonnalité qui se traduit par un rapport de 1 à 5 entre le trafic de décembre et celui du mois d’août, la mise en service du pont a montré une élasticité identique, mois après mois. Nous avons donc présenté dans le graphique des valeurs de mois moyens sur l’année.

Le déplacement moyen a été pris égal à 162 km, parcourus à 90 km/heure. Les statistiques montrent que le comportement des poids lourds est très différent de celui des voitures. Le pont a engendré un fort accroissement du trafic de voitures (+40 %) alors que le trafic poids lourds n’a crû que de 10%. Ceci tient notamment au fait que les poids lourds étaient prioritaires sur les ferries, et que leur temps d’attente était moins grand que celui des voitures : le bénéfice dû à l’ouverture du pont est proportionnellement moins élevé. Le calcul d’élasticité donne une valeur de 1 pour les voitures, et de 0,5 seulement pour les poids lourds.

Pour les voitures, avec un consentement à payer de 90 F/heure, et compte tenu de l’incertitude des horaires des ferries, le déplacement moyen coûtait 465 F en ferry.

La construction du pont a fait chuter cette valeur à 295 F, combinant une baisse de péage de 7,5 France et une réduction de temps d’ une heure et 35 minutes. Le péage représentait 75 F sur le ferry, il n’en représente plus que 67,5 sur le pont.

Le trafic a cru de 31 300 à 43 500 voitures/mois. En fait, la première année, le trafic a crû plus vite, mais l’économie de l’île s’est adaptée à l’opportunité que lui offrait un meilleur rattachement au continent en modifiant son offre d’hôtellerie et en ouvrant des magasins de détail de meilleure qualité qu’auparavant. Par conséquent, les hôteliers ont maximisé leurs profits, en montant en gamme leurs produits au détriment de la quantité. Les commerçants de détail ont mieux géré leurs stocks et leur offre, réduisant la nécessité d’aller faire les achats sur le continent Donc le trafic a très sensiblement diminué (-15 %) depuis l’année de l’ouverture, tout en restant supérieur au trafic établi lors du fonctionnement du ferry.

Le tarif de péage est suffisamment faible par rapport au coût du déplacement pour qu’une augmentation de 0,75 dollar canadien (3,5 F, soit 5 % du montant du péage) ne réduise le trafic que de 500 véhicules, soit 1,5 % du trafic de voitures.

Selon la courbe de demande, la suppression du péage ferait croître ce trafic à 52 500 voitures/jour, ajoutant ainsi 20 % au trafic actuel.

Le trafic poids lourds a crû de 17 300 à 19 000 camions par mois. Mais nous n’osons pas appliquer une règle aussi simple que celle de l’élasticité constante à un échantillon aussi faible : la nature même de l’économie de l’île est le seul guide sérieux pour prévoir le trafic poids lourds.

Le bilan économique

Vu du coté des finances du gouvernement fédéral, le bilan est nul, par construction même du projet : la condition de la réalisation de l’ouvrage était que les dépenses monétaires du gouvernement restent inchangées.

Vu du côté de l’économie du pays dans son ensemble, le bilan est largement positif. Les valeurs ci-dessous correspondent au trafic total, les poids lourds étant comptés comme valant 2 voitures.

Nous n’avons pas changé le mode de calcul de l’amertume, mais il nous semble que la dimension psychologique du péage dans ce cas est très faible : le péage existait déjà sur le ferry, et en plus il a été réduit. Il faudrait le multiplier par un facteur inférieur à 1, nous y reviendrons par la suite.

Le surplus 1 correspond à la situation actuelle. Le surplus 2 correspondrait à une augmentation de 3,5 F par passage pour les voitures et en même proportion pour les poids lourds.

Le calcul d’élasticité pour le trafic moyen ainsi défini (trafic pondéré VL + 2*PL), et le calcul des recettes donnent les résultats ci-dessous.

La encore, on voit que les recettes annuelles ne peuvent financer qu’une faible partie du coût de l’ouvrage.

Que peut-on dire de l’élasticité à la variation de désutilité ?

Valeur de l’élasticité à la désutilité

Dans les exemples que nous avons étudiés, la valeur calculée pour le coefficient d’élasticité des voitures a toujours été comprise entre 0,5 et 0,7. Il est fort intéressant de trouver enfin des résultats appuyés sur une base de plusieurs milliers de mesures : la théorie s’en trouve justifiée, et Jules Dupuit aurait enfin la courbe de demande, qu’il se désespérait de ne pas avoir.

En ce qui concerne les poids lourds, l’élasticité semble nettement plus faible : nous y reviendrons dans la suite de l’article

Valeur de l’élasticité au péage

Il faut aussi noter que l’élasticité porte sur le montant total de la désutilité, et non sur le seul élément « péage ». On pourrait dire d’une façon simpliste que l’élasticité au péage se déduit de l’élasticité à la désutilité par multiplication du rapport « péage/désutilité ». Dans le cas de l’île du Prince Edouard, le péage ne représente que 20 % de la désutilité, et l’élasticité au péage devient très faible (de l’ordre de 0,15). Autrement dit, on pourrait fortement augmenter ou diminuer les tarifs, le trafic ne changerait guère.

En fait, la situation est un peu plus compliquée, car la loi d’affectation du trafic en fonction du coût relève également de la loi log-normale de distribution des richesses (voir notre article de l’an dernier à ce sujet) et l’élasticité est plus grande que le simple résultat de la multiplication.

C’est précisément ici que la notion « d’amertume »intervient : elle corrige le strict calcul économique par la prise en compte d’une dimension psychologique qui agit tant sur le comportement des automobilistes que sur celui des décideurs. Une augmentation tarifaire pourrait être insensible du point de vue économique, mais engendrer une amertume telle qu’aucun décideur ne prendra la décision de l’appliquer.

Le stationnement s’ajoute aux coûts cités précédemment

Dans les calculs précédents, nous avons supposé que le coût du stationnement était nul, ou du moins négligeable devant les autres coûts. Ce n’est pas exact, mais, là encore, les informations précises ne sont pas disponibles. Ce qui est sur, c’est que la question ne se pose que dans les zones denses, et pour le stationnement à destination. Le coût du stationnement à l’origine (au domicile) est intégré par ailleurs, soit par la décision de ne pas avoir de voiture, soit de ne pas la garer à proximité, soit d’avoir un stationnement payant, qu’il y ait déplacement ou non.

Le coût du stationnement à destination est en revanche important. Trois heures de stationnement payant en parc souterrain pèsent finalement autant, sinon plus, que l’ensemble des autres éléments. Un déplacement à 35 F deviendra un déplacement à 70 F. Un aller–retour à 70 F passera à 105 F : il est clair que la politique de déplacement ne peut pas être menée indépendamment de celle du stationnement, de même que celle de l’urbanisme, notamment en ce qui concerne l’implantation et les places de stationnements des immeubles d’habitation ou de bureaux.

L’application de la théorie économique et du calcul de l’amertume pour les projets futurs

Remarques préliminaires

Les trois niveaux de valorisation du transport routier :

Il est très rare de se déplacer pour le seul plaisir de se déplacer. Le déplacement est un bien intermédiaire, nécessité par une action qui a une valeur économique, ou affective, ou de loisirs, ou tout autre but. Prenons un exemple pour fixer les idées.

Une famille part en vacances avec un budget global de 20 000 F. Sur ces 20 000 F, le transport représente une désutilité de 5 000 F, dont 3500 F sont monétaires et 1500 F en valeur de temps passé. Sur ce montant le péage (autoroute + stationnement) représente 500 F.Le premier niveau est la valeur économique du déplacement, qui vaut 20 000 F. Le deuxième niveau est celui de la désutilité du transport et vaut 5 000 F. Le troisième est celui du péage et vaut 500 F, soit 2,5% du coût du premier niveau.

En fret, on imagine un chargement de camion qui vaut 400 000 F, un coût généralisé de déplacement qui vaut 8 000 F et un montant de « péage + stationnement » de 1 000 F.

Au niveau global de la France , on trouve des rapports analogues entre les trois niveaux. Le premier est de l’ordre de 7 000 milliards, le deuxième de 800 milliards et le troisième de 40 milliards.

Il est clair qu’une augmentation des péages de 10 % ne se verra pas dans l’équation économique finale de l’utilisateur du chargement (100 F sur 400 000 F). C’est pour cette raison que l’élasticité vis-à-vis de la désutilité telle que calculée en deuxième partie est nettement plus faible pour les poids lourds que pour les voitures. Mais la séparation des métiers par niveaux (industriel, chargeur, transporteur) et la concurrence interne à ces métiers accentuent l’importance réelle et psychologique du péage.

Le point de vue des sociétés et celui des particuliers

Dans de nombreux cas, il existe une concurrence modale :fer contre air, fer contre route, quelquefois route contre air, maritime ou fluvial contre air,…A l’intérieur d’un même mode, il existe de la concurrence. C’est évident en mode routier et en mode aérien. Dans certains cas, il y en a même en mode fluvial ou ferroviaire.

La tarification imposée par les états sur les carburants, et les subventions attribuées aux transports (notamment ferroviaire) conduisent à une certaine répartition modale. Un changement de stratégie globale (protocole de Kyoto par exemple) peut faire évoluer subventions et tarification pour agir sur la répartition modale dans le sens recherché par le monde politique. Par exemple, décider de doubler tous les péages routiers ne troublerait les sociétés de transports que si leurs contrats étaient tels qu’elles ne puissent pas répercuter le surcoût au client final.

Il en va tout autrement des particuliers, qui sont des clients finaux et ne peuvent récupérer sur personne le montant qu’ils ont payé. S’ils considèrent avoir« surpayé », leur seule réponse est d’ordre politique, et ce phénomène psychologique s’évalue précisément par l’amertume.

L’amertume

Le tract anti-péage de Lyon

Une des meilleures description de l’amertume réside dans l’analyse du tract du collectif anti péage à Lyon. Traduits en termes économiques et non plus polémiques, les griefs retenus sont principalement les suivants :

  • Manque d’information de la population sur le coût de l’ouvrage et l’équation économique réelle ;
  • Manque de dialogue avec les citoyens sur le projet urbain que l’ouvrage catalysait ;
  • Le péage baisse le taux de capture de l’infrastructure, réduisant ainsi son efficacité en laissant trop de véhicules passer encore par le centre-ville ;Le péage peut être socialement inéquitable même s’il était politiquement (=financièrement) acceptable par la majorité des automobilistes.On trouve exactement dans ce tract les idées qui ont conduit les réflexions de J. Rawls sur l’équité et celles que nous menons avec Cl Abraham et Y Crozet sur l’amertume (voir les Cahiers Scientifiques du Transport à paraître prochainement). La vraie difficulté consiste à définir une méthode de mesure, qui soit représentative de la notion et reconnue suffisamment largement dans le monde des décideurs pour pouvoir être appliquée pratiquement à la définition des tarifications. Nous séparerons donc deux aspects : l’amertume réelle des gens, et son interprétation politique par les média et les décideurs.L’amertume réelleL’ensemble des hypothèses de calcul sur les vitesses (paramètre absolument prépondérant), les consentements à payer, et les distances moyennes parcourues forment un tout mesurable et cohérent.

Pour avoir personnellement passé des semaines ou des mois dans les villes des ouvrages qui ont été étudiées, le calcul de l’amertume tel que réalisé dans la première partie de cet article nous semble bien représenter le comportement des gens, en dehors de toute polémique spécifique et ponctuelle. La surface comprise entre la droite du tarif et la courbe de demande, limitée au trafic à péage nul, nous semble la meilleure expression pour quantifier le comportement des gens.

Cependant deux éléments ressortent de façon claire :

  • La culture du pays vis-à-vis du péage est une donnée essentielle pour interpréter correctement les réactions du public
  • L’amertume évolue dans le temps au fur et à mesure que le concept de péage passe dans les esprits et que la culture du pays évolue sur ce point. L’expérience des péages de stationnement, qui se sont progressivement généralisés, est un exemple de l’évolution d’une culture.Son interprétation politique par les décideursSi l’on peut admettre que l’amertume est mesurable, l’interprétation de ce phénomène par les média et les décideurs conduit parfois à des situations extrêmes, dont Toulouse , Lisbonne et Lyon furent des théâtres privilégiés. Un mécontentement populaire, plus ou moins justifié suivant les cas, a été saisi, amplifié, gonflé par une surenchère médiatique, qui a pratiquement obligé le pouvoir politique des décisions économiquement irrationnelles.L’exemple de Lyon montre qu’une politique habile et une bonne communication permettent de calmer les esprits et de revenir à des notions raisonnables. Mais on voit bien que l’amertume est une grandeur politique. Les décisions ne seront pas prises de la même façon en période électorale ou durant les 100 premiers jours de l’installation d’un nouveau pouvoir. Les médias ont parfois tendance à engendrer des phénomènes de résonance avec leurs lecteurs, et peuvent ainsi créer un vrai problème là où il n’y en a pas. A contrario, ils peuvent contribuer fortement à calmer le jeu, si le besoin s’en fait sentir.Il faudrait donc mettre un coefficient multiplicateur devant la valeur de l’amertume, et le faire varier suivant les cultures et la proximité des élections. Pour le moment, nous restons convaincus qu’en période normale, la bonne décision tarifaire découle de l’application d’un coefficient 1Un réponse logique : un optimum de type ParetoLa tarification maximale admissibleDans l’article paru l’an dernier dans le revue « Transports », nous avions suggéré que la tarification ne devait pas conduire une partie des exclus à avoir un surplus négatif, le surplus provenant de la plus grande fluidité des voies de surfaces étant plus que compensé par l’amertume due à la tarification. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de perdants dans la réalisation d’un ouvrage à péage, y compris ceux qui ne le prennent pas et qui en ont de l’amertume.Si l’on se rapporte aux courbes de la demande, cela signifie que la droite de tarification doit être au dessous du milieu du segment délimité par la désutilité initiale et la désutilité à tarif nul. En effet, la plus forte amertume se lit à l’intersection de la droite de désutilité à péage nul et de la courbe de demande. Cette amertume doit être inférieure à la réduction de désutilité correspondant au tarif choisi, c’est-à-dire à la distance entre la droite de la désutilité initiale et celle du tarif choisi.Nous n’insisterons jamais assez sur la nécessaire qualité des mesures de vitesse et de l’établissement de la matrice O/D pour avoir un résultat fiable dans ces calculs. Nous sommes toujours très prudents dans l’utilisation des modèles de trafic actuels, qui ne savent pas représenter proprement les phénomènes de saturation en zone urbaine.

Tarification à retenir

La tarification est le principal outil de dialogue entre le pouvoir politique, les gens et le concessionnaire. Les exemples chiffrés précédents ont montré quelques exemples de la retombée économique de la construction d’un ouvrage, et de son coût de construction, financement inclus.

Quelles que soient les théories sur les modalités, principes et justifications des financements par péage, le choix de la tarification va finalement dépendre de la volonté politique de répartition du coût de l’ouvrage entre le contribuable et le client, le contribuable lui-même pouvant être national, ou local.

Elle va aussi dépendre des contraintes spécifiques de financement que supporte la collectivité maître d’ouvrage.

Conclusion

Faire ou ne pas faire un ouvrage, et si on le fait comment le faire correctement ? Le bilan économico-politique de la réalisation d’un ouvrage se fera à partir d’une analyse des coûts et des bénéfices mesurables.

Les coûts

Dans ce type d’ouvrage, l’analyse des coûts est sensiblement moins incertaine que celle des recettes. Les processus contractuels qui se développent, avec les contrats de construction au forfait, et en temps garanti par le constructeur, limitent considérablement les dérives qu’on a pu voir auparavant. En effet, l’entreprise privée prend un risque plus fort, et fait pour s’en couvrir des étude plus approfondies que lors de la réponse à un appel d’offre classique.

Les bénéfices

Jusqu’à présent, il était difficile de faire un bilan des bénéfices, non seulement à cause de l’incertitude sur le trafic futur, mais également sur la valeur du temps à prendre en compte, et les réactions politiques engendrées. Avec la courbe de demande d’une part, et le concept d’amertume d’autre part, on dispose enfin des éléments chiffrés pour faire un calcul des bénéfices actualisés qui prennent en compte avec une bonne vraisemblance les phénomènes politiques.

Les taux d’actualisation

Que ce soit pour la puissance publique ou pour l’entreprise privée, l’intérêt de la réalisation d’un investissement se mesurera par l’actualisation des flux futurs, bénéfices socio-économiques pour l’un, dividendes pour l’autre, et coûts pour les deux. Pour les projets de transport, le monde de l’entreprise recherchera des taux de rentabilité compris entre 10% et 20%selon les circonstances. Dans la sphère publique, les valeurs habituelles se trouvaient jusqu’à récemment autour de 6% à 8%.

Mais depuis quelques années, le mode de raisonnement des Etats a changé, et la pression du court terme est devenue beaucoup plus forte. Ce qui fait que , paradoxalement, les taux d’actualisation expliquant la position des Etats dans le domaine des investissements se trouvent plutôt aux environs de 20 % à 25 % !Cette observation justifie pleinement l’évolution vers un partenariat public-privé que l’on rencontre aujourd’hui de plus en plus fréquemment

Avec un mode de calcul des bénéfices amélioré comme nous l’avons vu ci-dessus, une bonne tarification et un choix réaliste des taux d’actualisation, la puissance publique peut enfin disposer des outils nécessaires pour faire des choix pertinents en matière de politique tarifaire et de financement de projet.