Table des matières

Résumé
Introduction
Le péage relève autant sinon plus de la politique et de l’urbanisme que de l’économie : quelques exemples
A/Le péage autoroutier français par rapport à la TIPP et à la TVA
B/Les week-ends et périodes de vacances
C/Combinaison distance-fréquence-acceptation



Conclusion

Vincent Piron

Vincent Piron
Directeur de la Stratégie et des Investissements, VINCI Concessions

Dans nos études antérieures sur les ouvrages à péage, nous avions bien noté que les péages existant dans le monde suivaient des lois d’acceptabilité politique qui étaient loin des lois économiques, et même parfois rigoureusement antinomiques. Les paramètres qui étaient apparus comme pertinents pour la tarification étaient le degré d’obligation d’utilisation de l’ouvrage, et la fréquence d’utilisation, le tarif du péage devant être d’autant plus faible que le degré d’obligation était grand, ce qui contrevenait aux règles de l’offre et de la demande.

Comment compléter cette approche qualitative par une analyse quantitative qui permette aux décideurs de mesurer le mécontentement politique lié à l’instauration d’un péage? Une réponse s’esquisse en créant la notion “d’amertume”, qui tente de quantifier la perte de valeur que ressent une personne qui ne peut pas profiter de l’ouvrage parce qu’elle ne peut pas payer le péage.

L’application concrète de ce concept sur les concessions urbaines du Groupe VINCI donne des résultats prometteurs, débouchant sur des principes tarifaires pratiques, et offrant un support argumenté pour les décideurs politiques.

Introduction

Dans une série d’articles parus depuis 3 ans dans la revue Transports (numéros 377,379,385,et 393) nous avons essayé de clarifier quelques notions liées au péage routier, et particulièrement en zone urbaine. Nous avions observé le conflit permanent entre les concédants et les concessionnaires au sujet de la politique du péage, conflit qui se reflète notamment par la demande presque systématique de la liberté tarifaire de la part du concessionnaire, et une position hésitante de la part du concédant à ce sujet. Parfois le concédant impose les tarifs ; parfois il fixe des fourchettes de tarifs ; parfois il donne la liberté tarifaire, mais soumet sa mise en application à une autorisation préalable, qui représente de fait un contrôle total des tarifs. Il arrive cependant que le concessionnaire soit prêt à abandonner une liberté tarifaire au profit d’une garantie du concédant, même partielle.

Ces discussions permanentes tendent à prouver qu’il existe des paramètres non précisés dans les rapports contractuels entre le concédant et le concessionnaire. Dans l’article intitulé
« l’acceptabilité politique des péages », nous avions mis en évidence certains faits, certaines tarifications existantes, qui donnent satisfaction bien que ne correspondant pas à la théorie économique classique de l’offre et de la demande.

Nous avions montré notamment que les paramètres fondamentaux de la tarification étaient la fréquence d’utilisation de l’ouvrage, et son degré d’obligation d’utilisation, le paramètre « distance » n’intervenant pas directement, mais étant implicitement contenu dans le paramètre
« fréquence »(distance courte correspond à fréquence élevée). Avec ces paramètres, la réalité politique était bien identifiée, mais la logique comportementale restait encore à trouver. En effet, la contrainte politique conduit à tarifer à un bas niveau une configuration avec une forte demande et une offre réduite, ce qui est rigoureusement le contraire de ce que préconisent les théories microéconomiques traditionnelles, et que proposent régulièrement les modèles de trafic.

Le calcul économique moderne tel qu’utilisé en ce domaine depuis plus d’un siècle par J Dupuit et ses successeurs correspond à une certaine logique économique. Mais les théories conçues au

siècle dernier correspondent-elles au problème posé aujourd’hui, notamment en zone urbaine ? A notre avis non, car le nombre de personnes concernées par le péage a considérablement augmenté, l’impôt sur les transports a changé de nature et l’approche classique doit s’enrichir d’une vue sociale sur les comportements individuels. Le sentiment politique d’équité et la qualité de l’urbanisme pèsent plus que le calcul économique sur les décisions publiques concernant les transports. Peut-on alors améliorer le calcul en introduisant une grandeur qui représenterait l’équité ?

Ce serait fort intéressant car :

  • d’une part depuis une dizaine d’années, la doctrine économique et budgétaire des collectivités (villes, départements et Etats) les pousse à une rigueur accrue ;
  • d’autre part les nouveaux moyens technologiques ouvrent un champ considérable au péage lié aux transports. En effet, il est devenu possible de pratiquer une tarification très fine, adaptée à chaque cas particulier, à chaque type d’usage de la voie tarifée. Les enseignements des diverses expériences décrites ci-après montrent bien que la segmentation fine de la clientèle est la clé du succès des opérations à péage, et de la réalisation de certains schémas directeurs de ville ;
  • enfin, de nouveaux outils de financement de projet offrent des longueurs de dettes accrues à des taux raisonnables.Malheureusement, l’incertitude des décideurs sur ce que pourrait être la réaction politique des gens vis-à-vis du péage les retient d’agir, bien que la connaissance ait fait de grands progrès récemment grâce à la réalisation de nombreux ouvrages à péage et à l’étude in situ du comportement de leur clientèle. Les systèmes du type « shadow toll », eux, relèvent plus de la technique budgétaire que de l’économie des transports, permettent d’éluder le problème politique, et ne représentent donc pas vraiment un champ d’expérience dans ce domaine.Le processus de la décision publique concernant les déplacements est complexe et mal contrôlé. Les groupes de pression, élus, administrations diverses, économistes, ingénieurs, journalistes, sociologues, géographes et experts de toutes compétences qui interviennent dans les processus de décision cherchent encore les bons outils de mesure des réactions politiques.Depuis 10 ans, les études visant à mieux connaître et décrire les déplacements et leurs effets urbains se sont multipliées. L’état des réflexions et des connaissances des différents organismes privés ou publics s’améliore très sensiblement, notamment au Royaume Uni, et en Hollande. Depuis peu les Etats-Unis développent des modèles complexes du système de transport de leurs villes. En France, depuis le rapport Boiteux et la circulaire Idrac, les réflexions menées par les ministères préalablement à la conception d’une circulaire sur la conception des voies urbaines montrent l’enrichissement progressif de la méthodologie.Nous tenterons de contribuer à cette réflexion sur deux points spécifiques :
  • Que fait-on des « exclus du système à péage » , alors que leur traitement devient de plus en plus le rôle du politique, et que leur insatisfaction pèsera de plus en plus dans la décision publique ?
  • Comment ne pas trop se tromper sur les paramètres de description du fonctionnement des villes, avec et sans le« projet nouveau »?La mesure du mécontentement politique concernant les péages est un paramètre essentiel du processus de décision et n’a été correctement quantifiée qu’en Norvège. Les décideurs sont pris en général dans un processus non rationnel, fait de pressions contradictoires, rarement représentatives, avec des contraintes de temps qui ne sont pas toujours compatibles avec études et consultations nécessaires. Les décisions risquent alors d’être le « fait du Prince », avec tous les risques de rejets potentiels quand le Prince change. Ou alors, pour ne mécontenter personne, on ajoute toutes les

demandes de chacun des groupes de pression dans un seul programme d’urbanisme et de transport (voir le Dennis package à Stockholm), qui devient trop onéreux pour jamais se réaliser car le consensus sur le phasage initial, qui détermine le vrai projet, n’est jamais obtenu.

Dans le présent article, nous avons essayé d’imaginer une méthode d’estimation du mécontentement des exclus des ouvrages à péage, en cohérence avec la structure globale urbaine. Observons tout d’abord que la dimension psychologique est fondamentale dans les problèmes liés au péage.

Le péage relève autant, sinon plus, de la politique et de l’urbanisme que de l’économie : quelques exemples

Le péage autoroutier français par rapport à la TIPP et à la TVA

Après l’ancien régime, et ses routes à péage, la période révolutionnaire a cessé de taxer les déplacements. Le péage autoroutier a cependant été rétabli en France depuis la loi de 1955, à titre exceptionnel évidemment. Le programme autoroutier en vigueur aujourd’hui laisse penser que le remboursement de l’infrastructure sera effectif vers 2020, soit 65 ans après la situation réputée l’être « à titre exceptionnel ».

Le péage collecte annuellement environ 30 milliards de francs, dont 40% proviennent des poids lourds et 60% des voitures particulières. De cette dernière famille, 35%à40% se font rembourser le péage.

Pratiquement, cela veut dire que les ménages payent au maximum 11 milliards au système autoroutier.

Sur un total de 600 milliards de dépenses automobiles des ménages, les péages ne représentent que 2%.

La récente augmentation du prix de l’essence passée de 6,5 francs à 7,5 francs, a engendré une dépense supplémentaire de 30 milliards, équivalente à la totalité d’une année de péages autoroutiers. Les premières réactions politiques sont apparues au début de l’été, mais ont été relativement faibles, et le trafic n’a en rien souffert de cette augmentation considérable de la taxation.

En revanche, une proposition d’augmentation des tarifs autoroutiers à un niveau égal ou supérieur à l’inflation (1,1 à 1,2%, soit 330 à 360 millions de francs en valeur absolue) a failli provoquer de vives réactions. Nous voyons bien que nous sommes dans le domaine du politique et non dans celui du rationnel.

Ce qui est le plus clair, c’est que les gens ont réagi en considérant que les péages autoroutiers étaient un impôt, et rien d’autre. Par conséquent, cet impôt ne devait pas augmenter plus vite que l’inflation, indépendamment du service rendu par l’autoroute, service dont la valeur augmente au fur et à mesure qu’augmente la saturation du réseau routier traditionnel. On retrouvera partout, dans tous les pays, cette dualité touchant la politique tarifaire, hésitant toujours entre une logique économique de service rendu et un impôt supplémentaire.

C’est précisément cette dualité que nous avons essayée de quantifier, de façon à sortir des discours doctrinaires purement qualitatifs

Les week ends et périodes de vacances

Dans le domaine du comportement politique vis-à-vis du péage, on notera l’exemple des week-ends et période de vacances comme révélateur des variations possibles de la culture du péage. On peut trouver dans le monde des exemples variés, illustrant chacune des doctrines que l’on pourrait qualifier de « justifiée » a priori, mais contradictoires entre elles. Prenons quelques exemples.

A Lisbonne, au mois d’août, il serait inconvenant de faire payer la traversée du pont sur le Tage pour les gens qui habitent Lisbonne en rive droite, et qui vont à la plage en rive gauche, à proximité de la ville. L’idée est que la plage est la distraction la moins onéreuse, qu’elle doit toucher le plus grand monde, et qu’à ce titre, il faut lui conserver l’avantage de ne rien coûter, ou presque. Même si cette logique disparaît peu à peu, la force politique de l’argument reste encore puissante. D’ailleurs, le périphérique de Lisbonne, prévu initialement à péage, est devenu gratuit au moment de son inauguration !

Au Chili, en revanche, la tarification du réseau a été fortement inspirée de la logique économique des Etats-Unis (l’école de Chicago). Par conséquent la logique strictement économique prime et la tarification des week-ends est systématiquement supérieure à celle des jours de semaines. Il y a 5 ans, le rapport entre la tarification de week-ends et celle de semaine était presque dans un rapport de un à deux. Aujourd’hui, elle se trouve plutôt dans le rapport de 1,5. Il faut probablement y voir le fait que la voiture se démocratise, et que la clientèle des péages s’élargit : de celle des rares privilégiés ayant accès à la voiture à celle de Monsieur Tout le monde. On se rapproche alors de la situation portugaise.

Le cas lyonnais, sur lequel nous reviendrons plus en détail montre, lui aussi, un exemple de comportement dont la rationalité n’est pas purement économique. Le contournement Nord, ouvert initialement ave un seul tube (2*1 voie) sous la colline de Caluire, a été rapidement saturé aux heures de pointe (3 heures par jour). A l’ouverture du second tube de Caluire, les déplacements payants de week-ends, qui ne souffraient d’aucune contrainte de capacité, se sont cependant mis à augmenter ! Pourquoi ? Probablement par accoutumance, et réflexe d’habitué d’un itinéraire.

Ces trois exemples choisis parmi bien d’autres montent bien le rôle fondamental de la psychologie dans le choix de la politique de péage.

La combinaison distance – fréquence – acceptation du péage

Le cas lyonnais

Le cas du boulevard périphérique de contournement au Nord de Lyon a été particulièrement intéressant d’analyser ces derniers temps. Le montage initial et ce qu’il en est advenu sont bien connus. L’interprétation politico-économique se résume comme suit.

Dès 1975, il était clair qu’il fallait conduire une rénovation urbaine du quartier de Vaise, rénovation qui passait par la disparition du trafic de transit traversant la rue principale du quartier. Il était non moins évident qu’il fallait une autre traversée Est-Ouest pour relier l’autoroute A6 à la zone Est de l’agglomération, en plein développement. La traversée des collines et des fleuves s’imposait dès lors par le nord, sous la colline de la Croix Rousse, et devait rejoindre le boulevard périphérique Est de Lyon, bien connecté lui-même sur les développements Est de l’agglomération. Ce contournement offrait de plus l’opportunité de retirer une partie du trafic de transit à l’est de la partie dense de l’agglomération (communes de Lyon et Villeurbanne).

Le tracé en plan était dès lors évident, seules les solutions techniques de traversée des fleuves restaient à définir. Le contournement offrant une possibilité de traverser la ville rapidement, l’itinéraire de transit pouvait intéresser de nombreux véhicules. Il fut donc décidé de mettre l’itinéraire à péage. Mais par définition de l’itinéraire, un péage fort dissuadait les véhicules de prendre le contournement,

rendant ainsi sa construction virtuellement inutile car laissant les véhicules traverser le centre ville. Un péage faible faisait, d’après les modèles de trafic en vigueur au moment des décisions, chuter les recettes et donc coûtait cher en impôts

Cet équilibre entre impôt et péage a été la clé des discussions. Nous avons montré dans l’article datant de septembre 1998 (Transports n385) l’erreur de la tarification initiale. Elle était trop élevée, l’ouvrage ne jouait pas son rôle, et la municipalité a eu du mal à gérer l’aspect politique sous- jacent, faute de méthodologie reconnue. Finalement, la concession privée a été annulée, pour d’autres raisons d’ailleurs, et la municipalité a repris en main l’ensemble de l’opération, rachetant l’ouvrage au concessionnaire et y appliquant une tarification nettement plus faible, et mieux adaptée au service recherché tant par les urbanistes que par les automobilistes.

Les tableaux n° 1 et 2 ci-dessus mettent en évidence l’évolution des trafics sur les itinéraires principaux.: Celui qui apporte un gain important aux véhicules qui franchissent maintenant aisément un obstacle naturel (le tunnel de Caluire) n’a eu qu’une faible croissance, ce qui signifie que l’ouvrage a été apprécié dès son ouverture. Les itinéraires les moins indispensables ont connus une croissance plus forte entre 1997 et 1998.

 

 Le cas canadien (A 407) : vidéo ou transpondeur

A la même période se déroulait au Canada un appel d’offre sur la vente d’une autoroute urbaine à péage : l’autoroute A 407, contournement Nord de la ville de Toronto. Il s’agit d’une autoroute d’une longueur de 70 km, munie d’un péage différentiant deux types de clients. D’une part les utilisateurs fréquents, qui s’équipent d’un transpondeur et bénéficient d’un tarif peu cher (1 à 1,5 dollar canadien suivant la distance, soit 4 à 6 francs par trajet). D’autre part, des utilisateurs non fréquents, qui n’ont pas d’abonnements, et qui sont identifiés par une lecture vidéo de la plaque d’immatriculation à l’entrée de l’autoroute et une autre à la sortie, la tarification s’échelonnant alors entre 2 et 3 dollars canadiens pour le trajet.

Cette autoroute est munie d’échangeurs nombreux, à intervalles réguliers, ce qui permet d’obtenir un profil caractéristique d’utilisation de l’autoroute par mode de paiement. L’échelle
« Distance » du graphique ne représente pas les kilomètres mais la succession d’échangeurs. Les utilisateurs de transpondeurs font des trajets de courte distance, d’autant plus fréquents que la distance parcourue est plus courte. Les utilisateurs du péage par vidéo, en revanche, présentent une distribution de longueur de trajets absolument constante sur toute la longueur de l’autoroute. Pour les longues distances, vidéo ou transpondeurs, le nombre d’utilisateurs est identique, comme si la rareté du trajet, combiné à sa grande longueur, rendait l’automobiliste de moins en moins sensible au tarif de péage.

Des lois comportementales sous-jacentes

Les quelques observations ci-dessus, auxquelles s’ajoutent d’autres analyses réalisées en Argentine sur les péages urbains de Buenos Aires et au Brésil sur les péages de Rio de Janeiro, nous ont conduit à confirmer les hypothèses faites il y a deux ans sur l’acceptabilité politique des péages. Ces hypothèses se résument à trois points principaux :

  • le consentement à payer est fonction de la longueur du trajet ;
  • plus le degré d’obligation d’utiliser un itinéraire est élevé, plus sa tarification doit être basse ;
  • plus la fréquence d’utilisation de l’ouvrage à péage est élevée, plus la tarification doit être basse. Nous pouvons faire quelques commentaires sur ces sujets.

Le degré d’obligation

Nous ne reprendrons pas le contenu de notre article de 1998 sur l’acceptabilité politique des péages, mais nous ajouterons simplement quelques réflexions.

Il est clair qu’un produit industriel qui se banalise baisse de coût, car les séries de production sont plus longues et les effets d’échelles sont sensibles. Il est également clair qu’un produit industriel qui baisse de coût se généralise et se banalise. Les exemples les plus frappants ces derniers temps en Europe sont le téléphone mobile et les micro ordinateurs.

Dans le cas du péage de voirie, il existe un phénomène analogue : la diffusion de plus en plus large de la voiture conduit des couches de population de plus en plus « pauvres » à utiliser fréquemment la voiture, notamment pour aller travailler. Par conséquent, même si l’ouvrage construit ne change pas, sa clientèle change de nature, et la tarification doit en tenir compte. La meilleure mesure de l’utilisation d’un ouvrage à péage est, pour un corridor donné, le rapport entre les gens qui l’utilisent et ceux qui prennent le corridor (gratuit + payant). C’est le taux de capture de l’ouvrage. Plus le tarif est élevé, et plus le taux de capture est faible.

Mais ceci suppose que les gens ont le choix entre deux services qui ne sont pas trop différents, ni en temps, ni en coût. Si, au contraire, l’ouvrage est en situation de quasi-monopole, le raisonnement est différent : une tarification d’ouvrage public ne pourra pas être telle qu’elle rejette la majeure partie de la population. C’est ce qui fait la grande différence entre un ouvrage d’infrastructure et un bien de consommation ou d’équipement. Par analogie, prenons l’exemple du service de restauration. Il existe des restaurants de grande qualité et chers. Mais personne n’est obligé d’y dîner : ces restaurants n’ont pas réduit le nombre de restaurants bon marché, pas plus que la production de modèles de voitures haut de gamme n’a exclu celle de modèles économiques.

Dans le cas des infrastructures, il n’en va pas de même, car l’offre est beaucoup plus réduite. La somme des capacités des ouvrages à péage et ouvrages gratuits dans le corridor doit correspondre à la demande, c’est évident. Mais la capacité de l’ouvrage à péage est très loin d’être négligeable devant celle des ouvrages gratuits (ou plutôt devant la capacité totale du corridor, tous modes de transport confondus), et l’ouvrage à péage a, de toute façon, demandé une participation financière publique, qui rendrait inacceptable le rejet d’une partie de la population, créant ainsi une « amertume » des contribuables-électeurs.

La fréquence

Quand nous ajoutons l’effet « fréquence » au « degré d’obligation », comme déjà décrit dans notre article de 1998, la sensibilité politique au tarif est décuplée : le bon raisonnement se fait alors en budget de péage mensuel, à comparer au budget total du ménage. La réponse en termes de tarification est la création d’abonnements adaptés à chaque cas spécifiquement.

Le consentement à payer par unité de temps gagné croît avec la longueur du trajet

Bien que ce soit rarement pris en compte dans les modèles, le consentement à payer n’est pas une grandeur fixe, mais dépend du gain de temps réalisé. Ceci n’est pas une grande nouveauté si l’on veut bien lire en détail la littérature parue sur le sujet depuis 6 ans. Il existe en effet une étude approfondie du HCG sur le sujet, confirmant les études menées à l’Inrets par O Morellet (modèle MATISSE). Pour confirmer ceci, nous avons eu nous-même l’occasion de faire retraiter un certain nombre d’enquêtes de préférences déclarées menées dans différents pays par le bureau d’études HFA,

et les corrélations trouvées avec une variation du consentement à payer en fonction de la distance ont été nettement meilleures qu’avec la méthode traditionnelle.

Les démonstrations de Lyon et de Toronto viennent encore renforcer ces observations. Nous sommes aujourd’hui persuadés que l’utilisation de modèles de trafic qui ne prendraient pas en compte cette loi comportementale fondamentale donnerait des résultats tout à fait erronés. Cette remarque est d’une importance primordiale pour les projets urbains à venir, et les tentatives de politique de péages urbains. La courbe tarifaire naturelle d’un trajet devrait être d’allure parabolique et non linéaire, au moins sur la première partie du trajet.

Les contrats écrits et les contrats tacites

Que le péage soit d’ouvrage ou urbain ; que le concessionnaire soit public ou privé, le schéma juridique et financier lié aux péages est toujours le même. Tous les liens entre les acteurs sont formalisés par des contrats, des règlements, des lois, des accords d’actionnaires, des garanties … L’arsenal juridique est là pour développer la mise en forme écrite de l’intention des acteurs au moment de la signature et prévoir ce qui se passera si telle ou telle circonstance se produit.

Les acteurs

Nous considérerons le cas d’une concession qui lie une collectivité locale (une ville, un département, une région) avec une société concessionnaire. Les acteurs sont au nombre de sept et listés ci après :

  • la société concessionnaire elle-même, représentée par les actionnaires qui y investissent, dans le but de percevoir des dividendes sitôt que les conditions financières le permettent (flèche n°7) ;
  • le client final, qui paye pour le service proposé. C’est l’automobiliste, ou la société de transport, qui paye une redevance d’usage de l’infrastructure mise à sa disposition (flèche n°1) ;
  • le concédant. C’est celui qui dispose du pouvoir de concevoir et définir le service à rendre, de décider de la mise en concession de l’ouvrage correspondant au service, de lancer les appels d’offres, d’émettre des garanties ou de donner des subventions, et enfin de signer le contrat de concession avec la société concessionnaire (flèche n°2) ;
  • le Ministère des Finances, qui perçoit les impôts directs et indirects sur le contrat et sur les recettes (flèche n°3) ;
  • les organismes prêteurs, qui avancent les fonds nécessaires à la construction de l’ouvrage et commencent à se faire rembourser dès le début de la mise en service (flèche n°4) ;
  • l’entreprise de construction, qui exécute les travaux pour le compte de la société concessionnaire (flèche n°5) ;
  • l’exploitant de l’ouvrage, qui perçoit les péages et exécute la maintenance pour le compte de la société concessionnaire (flèche n°6).Il arrive souvent qu’un même organisme joue plusieurs rôles. Par exemple, il se peut que certains actionnaires soient en même temps constructeurs et/ou exploitants. Ils n’auront alors pas le même comportement que ceux qui sont uniquement investisseurs financiers, car ils interviennent comme acteurs à plusieurs endroits et cumulent plusieurs natures de risques et de bénéfices.Il arrive aussi fréquemment que la puissance publique soit simultanément concédant, actionnaire unique de la société concessionnaire, collecteur d’impôts et même prêteur ! Bien entendu, les réactions psychologiques des gens vis-à-vis du péage ne seront pas les même si le concédant est public ou privé.

Les flèches indiquent le sens des flux monétaires dans un cas classique de concession, le schéma 1 en période de construction et le schéma 2 en période d’exploitation.

Schéma 1 : Le schéma traditionnel des liens juridiques entre les acteurs

Les contrats tacites

Nous avons vu que l’approche strictement financière ne suffisait pas à décrire la réalité de la vie d’un contrat de concession. La dimension politique, qui s’extériorise par la tarification et que pourrait mesurer « l’amertume », traduit le fait qu’il existe deux contrats tacites, non écrits, mal formalisables et mal connus. Ces contrats sont ceux reliant

  • la population et le concédant d’une part ;
  • le groupe de clients et la population d’autre part.En amont de toute la procédure de mise en concession et de dévolution de l’appel d’offre, il existe une décision politique de réaliser un ouvrage public et d’en répartir la charge entre les contribuables et les clients de l’ouvrage. Ces deux catégories de population ne sont pas les mêmes. La population entière de l’Etat (ou de la collectivité concernée) est contribuable et exprime son opinion au moment des votes. Le client, lui, est une personne qui trouve son intérêt à payer un montant qu’il considère acceptable à un moment donné pour le service qui lui est proposé par la société concessionnaire à ce moment-là. Seule une partie de la population est client, mais l’autre partie de la population bénéficie indirectement de l’ouvrage sans payer le péage car l’allègement global du réseau qu’engendre l’ouvrage nouveau bénéficie à l’ensemble des habitants (automobilistes ou non).

Il existe donc deux contrats non écrits entre le concédant et la population pour fixer la valeur des péages à un niveau tel que l’ouvrage soit utilisé au mieux, c’est-à-dire que chacune des catégories de population considère qu’elle paye le juste prix de ses avantages, soit sous forme indirecte (les impôts), soit sous forme directe (le péage), soit enfin sous forme d’une combinaison des deux (ouvrage à péage subventionné par les impôts à hauteur de 50%, 70%, ou même plus).

La figure ci dessous reprend les acteurs de la concession, en faisant explicitement figurer les liens politiques et d’acceptabilité sociale du niveau de péage entre la population, le concédant et le client.

Schéma 2 : Les contrats tacites

Une tentative d’approche chiffrée basée sur l’expérience de Marseille

La sensibilité excessive des modèles de trafic aux hypothèses initiales pousse plutôt à rechercher un raisonnement urbain global

Le graphique ci après montre l’extrême sensibilité des logiciels de simulation aux hypothèses que l’on leur injecte. Dans les domaines de vitesse que l’on rencontre en zone urbaine, variant de 12 km/heure pour une zone très embouteillée à une vitesse de 30 km/heure pou une zone fluide, et pour un consentement à payer variant de 30 F à 180 F par heure, les tarifs théoriques vont de 0,6 F à 12,5 F par km, soit un rapport de 1 à 20.

Tarif théorique de péage d’une voie rapide urbaine (V2=70km/heure)
en fonction du consentement à payer et de la vitesse sur l’itinéraire gratuit concurrent

Au lieu de perfectionner un modèle et sa description très fine de la réalité, nous avons pris une approche globale, pour rapprocher le plus possible le phénomène « transport » de celui
« d’urbanisme », et nous avons utilisé une description extrêmement simple de la réalité. C’est plus une image qu’un modèle, mais les mécanismes représentés sont bien ceux qui font fonctionner les modèles complets actuels.

Tarif théorique donné par un modèle (en francs par kilomètre)

De bonnes données provenant de Marseille, Lyon, Lisbonne et Toronto

Le retraitement des données disponibles sur des ouvrages à péage en exploitation aujourd’hui avec une nouvelle méthode d’analyse s’est avéré riche d’enseignements.

Nous avons supposé une distribution log normale du consentement à payer. Cette distribution a été testée favorablement dans les études de « Péage 2 » menées sur Marseille en 1996 et 1997. Nous avons cependant changé un paramètre important : l’écart type a été pris à 0,5 et non pas à 0,7. Pourquoi cela ? Avec la loi sur le consentement à payer croissant en fonction de la distance, la distribution avec un écart type de 0,7 donnerait une recette constante pour un tarif variant entre 15 F et 40 F. Cela ne nous paraissant pas refléter la réalité marseillaise, nous avons réduit le nombre de
« riches » ou de « pauvres pressés » en réduisant l’écart type. Ceci dit, des tests conduits avec 0,7 donnent des résultats de même nature.

Nous avons cependant tenu compte d’une variation du consentement à payer en fonction de la longueur. Pour les déplacements de gains inférieurs à 12 minutes, le temps gagné est réduit, et pour plus de 12 minutes, il est augmenté, progressivement pour atteindre un gain de 1,5 pour 30 minutes et 2 pour 1 heure et demie. La loi multiplicative correspondante est de la forme y = 2*(1-exp(-k*dt)).

Nous avons représenté deux itinéraires pour aller d’un point A à un point B distant de 12 kilomètres, l’un gratuit et l’autre à péage. Ces deux itinéraires ont la même longueur et ne se différencient que par l’existence d’un péage sur l’un d’eux. Les donnes et résultats concernant l’itinéraire gratuit sont référencés par l’indice 1, et ceux concernant l’itinéraire payant par l’indice 2. Pour effectuer les comparaisons « avec et sans projet », nous avons utilisé une situation de référence indicée 0 (zéro).

Les coûts d’opération sur les deux itinéraires sont les mêmes, et il n’y a aucun bonus, ni malus. Pour fixer les idées, le calcul a été fait sur une demande de déplacement de 2000 véhicules dans un sens, correspondant de fait à deux voies du tunnel en heure de pointe. La loi d’affectation des véhicules sur l’un ou l’autre itinéraire est une loi en tout ou rien. Si le coût généralisé (= valeur du temps + péage) est plus faible sur un itinéraire, le véhicule le choisit.

Nous avons utilisé une loi débit-vitesse pour l’itinéraire gratuit, et une autre pour l’itinéraire à péage. Ces lois sont des lois hyperboliques, dont nous avons vérifié l’adéquation à la réalité. D’autres pourraient évidemment convenir, mais les limites « vitesse à vide » et « vitesse à saturation » ne doivent pas être modifiées car elles correspondent à des observations réelles. L’itinéraire gratuit, présenté comme un itinéraire unique, est en réalité la somme d’itinéraires gratuits parallèles, ou faisant fonction d’itinéraires parallèles, et dont la capacité totale est celle prise en compte dans le présent modèle.

Pour le temps de parcours correspondant à la situation « sans projet », nous nous sommes appuyés sur nos connaissances de l’urbanisme et de la circulation dans les villes étudiées. En effet, il est inutile de disposer d’une loi de vitesse « sans projet ». Seul le temps de parcours de A à B nous importe, et cette donnée est disponible soit dans les études de trafic, soit dans celles d’urbanisme.

Le modèle recherche l’équilibre de trafic entre l’itinéraire gratuit et l’itinéraire à péage, pour un tarif de péage donné. Une fois l’équilibre atteint, il calcule les surplus économiques des utilisateurs de l’itinéraire gratuit (surplus 1), de l’itinéraire à péage (surplus 2), le montant de la recette du péage, le surplus pour les usagers, défini comme la somme des surplus 1 et 2, le surplus pour la collectivité, défini comme la somme du surplus pour les usagers et de la recette de péage.

La méthode de calcul utilisé ici ne tient pas compte du trafic induit, dont l’importance en ville est considérable. Cette induction peut être considérée comme un bien (voir la dernière enquête transports qui montre que les gens se déplacent plus qu’avant). Mais cet aspect positif doit être relativisé par les aspects environnementaux et économiques : un bon urbanisme conduit à du bien être

avec un minimum de déplacements, faits à vitesse rapide. Un déplacement contraint engendre un surplus négatif. Il faut laisser à l’urbanisme et non à l’économie des transports le soin de trouver la bonne grandeur.

L’introduction d’une grandeur chiffrable pour refléter les contrats tacites

Il restait un problème essentiel : comment chiffrer alors « l’amertume » des gens qui ne peuvent pas utiliser l’ouvrage à péage, et quel critère d’acceptabilité pourrait-on donner ? Nous avons pu bénéficier pour cette réflexion de l’expérience de la société du tunnel Prado-Carénage à Marseille, d’une part grâce à l’existence d’une base de données accessible et complète, d’autre part grâce à l’intérêt personnel que porte son Président Claude Abraham à ces sujets. C’est lui, en effet, qui a inventé en 1960 la loi dite d’Abraham sur l’affectation du trafic entre voies concurrentes en fonction du rapport des coûts à la puissance 10. Ses idées et son expérience ont largement contribué à mettre au point le modèle utilisé dans le présent article. Nos propres expériences sur Lyon, Lisbonne, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Toronto et Paris ont validé les mécanismes du raisonnement.

Cette notion nouvelle « d’amertume »est purement psychologique et non économique. Elle mesure le fait que des gens n’ont pas un consentement à payer suffisant pour utiliser l’ouvrage à péage, alors qu’ils l’utiliseraient s’il était gratuit. Cette « amertume » est définie comme un surplus négatif, produit de la différence de temps T1-T2 par la différence entre le consentement à payer correspondant à ce que pourrait payer un « exclus » et le consentement à payer nécessaire à l’acceptation du péage Cela revient à dire qu’un exclu « plutôt pauvre » souffre d’une amertume plus grande qu’un exclus « plutôt riche ». Cela revient également à dire que quelqu’un qui serait « presque » prêt à payer le péage n’a qu’une faible amertume. C’est bien une problématique d’ordre politique ou d’équité, et non pas d’ordre économique.

Le surplus 1 des exclus du péage est alors réduit par l’amertume, et on regarde le comportement du solde, appelé “surplus net des exclus”. C’est la combinaison d’une grandeur économique et d’une grandeur psychologique. La méthode n’est pas parfaite mais le résultat est parlant.

Les graphiques n° 3, 4, et 5 ci-après illustrent les exemples de Prado-Carénage, du contournement de Lyon et du Pont sur le Tage à Lisbonne.

Le pourcentage des gens utilisant l’ouvrage à péage a été reporté sur l’échelle de droite. Le surplus net des exclus a été reporté en trait épais.

On constate qu’à Marseille, le surplus net des exclus est maximum pour un péage entre 10 et 15 F, le maximum pour la concessionnaire se situe entre 20 F et 25 F, alors que le maximum pour la collectivité se trouve autour de 5 F. Ce maximum (50 000 F environ) est largement supérieur aux recettes du péage (15 000 F environ). Rapporté à l’année, les vraies recettes sont de 150 MF. Le tunnel, tarifé actuellement à 14 F, engendre un surplus collectif de l’ordre de 500 MF par an.

Sur le contournement Nord de Lyon, la situation est différente : le surplus des exclus est toujours négatif, sauf pour une tarification quasi nulle. Ceci provient du fait que la vitesse de déplacement des exclus est plus basse après réalisation de l’ouvrage qu’avant. Si ce résultat est conforme au projet urbain, des explications sont nécessaires pour la population et des précautions spécifiques sont nécessaires pour la mise en place du dispositif. Pour une recette de l’ordre de 10 000 F, le surplus collectif n’est que de 25 000 F, et encore avec un tarif compris entre 5 F et 10 F. La valorisation urbaine des quartiers de Vaise et des rives du Rhône fournit le complément de création de valeur justifiant le projet.

A Lisbonne enfin, le surplus net des exclus est positif tant que le tarif est inférieur à 25 F. Son maximum se trouverait au niveau d’un péage de 10 F et un péage de 25 F l’annulerait. Les recettes de péage, elles, plafonnent dès 5 F. Mais notre image du trafic est trop simplifiée dans le cas des ponts sur le Tage, le pont ancien ayant le comportement d’un péage quasi obligatoire (= impôt), alors que le nouveau pont est un service supplémentaire. L’image du péage représente en fait la différence entre le tarif sur un pont et celui sur l’autre, et la distance entre les ouvrages induit un biais : il faut reprendre la même méthode, mais avec le vrai modèle trafic, pour avoir un résultat correct.

Que peut-on en tirer comme enseignement ?

Le surplus pour la collectivité dépend considérablement de la vitesse « sans projet », ou « de référence ». C’est là que se trouve le point clé des calculs de la rentabilité socio-économique des projets urbains. Comme le signale O. Morellet dans son étude sur Marseille avec le logiciel

Surplus

MATISSE, il suffit d’allonger un temps de parcours d’une minute (un feu rouge) pour modifier de 5% le trafic du tunnel. Cet ordre de grandeur avait déjà été cité dans un article précédent. En effet, 5% du trafic correspond à 7,5 MF de recette annuelle, soit une possibilité d’amortir financièrement 100 MF ! Deux observations sont essentielles pour ne pas se tromper dans les ordres de grandeur :

Une agglomération ne meurt pas d’avoir un mauvais réseau de transport : il se produit des régulations sur la demande (horaires, destinations, nombre de déplacements, mode,..) qui modifient sa forme et son fonctionnement. Par conséquent certaines parties de la ville peuvent se dévaloriser, mais la vitesse moyenne restera au-dessus d’un minimum

Dans le cas d’obstacles difficiles à franchir (ponts, collines), la construction d’une infrastructure est de nature à proposer un service nouveau, allant bien au-delà d’un gain de temps, et provoquant un trafic induit fort, ainsi qu’une revalorisation du tissu urbain nouvellement connecté. Il y a alors une valeur ajoutée urbaine considérable. Un bilan économique devrait toutefois tenir compte du fait que si les nouvelles activités n’avaient pas été dans le tissu nouvellement raccordé, elles auraient été ailleurs. C’est donc un gain différentiel entre deux schémas de développement de villes qu’il faudrait prendre en compte.

Le choix de la vitesse moyenne de référence pour les calculs économique est essentielle Dans les villes traditionnelles européennes, elle ne descend guère au-dessous de 20 km/heure, à comparer à une vitesse commerciale de tramway de 18 à 19 km/heure fréquemment rencontrée.

A Lisbonne, en revanche, l’extrême embouteillage du pont le plus ancien ramenait cette vitesse autour de 12 km/heure pour les trajets comprenant une traversée : d’où le gain économique considérable de la construction du nouveau pont Vasco de Gama.

Conclusion

Choix ou pas de choix, telle est la question. Si le choix des itinéraires existe, on utilise le calcul classique du surplus à la Jules Dupuit. En toute logique, le concédant devrait choisir le niveau de péage et les principes de tarification suivant ses priorités politiques, puis il laissera l’application de la politique commerciale au concessionnaire. Sinon, le péage est un impôt.

Lorsque le degré d’obligation est fort, le péage est considéré comme un impôt et doit être conçu comme tel

Dans l’équilibre entre ressources financières dues à l’impôt et celles dues au péage, le paramètre qui nous semble le plus important est le degré d’obligation. Le péage d’un ouvrage à fort degré d’obligation est un impôt. Il en va de même du péage de zone. Ce péage ne peut pas être cher et rejeter une part importante de la demande potentielle. Cela se traduirait par une loi de vitesse V1 beaucoup plus lente que V2, et une «amertume» considérable des exclus, donc des réactions politiques très négatives. Une tarification à bas niveau, « indolore » en ceci qu’elle ne modifie pas sensiblement le comportement des usagers, est celle qui est la plus logique et la mieux acceptée.

Si elle modifie le comportement des gens malgré un fort degré d’obligation : attention aux problèmes politiques !

La maximisation des recettes correspond à une amertume forte

Il est clair que le tarif qui maximise la recette est un tarif élevé, ce que recherchera normalement le concessionnaire qui fait bien son travail. Mais à ce moment, l’amertume est, elle aussi, élevée. Il est du ressort du concédant de savoir quelle amertume il peut tolérer politiquement. En fonction de cela, il mettra au point avec le concessionnaire le contrat écrit correspondant. La différence entre l’optimum des recettes et le niveau de recettes correspondant à la tarification retenue par le concédant devra faire l’objet d’une aide au concessionnaire par rapport à ce qu’il aurait pu obtenir avec un tarif libre. Cette

aide intervient à Lisbonne sous la triple forme d’une subvention, d’un complément de style shadow toll et d’un taux réduit de TVA. Bien d’autres formes sont possibles encore.

La courbe des recettes est assez plate : utilisons-la au mieux

D’après ce qu’on peut imaginer des concessions existantes, il semblerait que la courbe des recettes en fonction du tarif soit assez plate. Personne n’en a jamais fait l’expérience pratiquement, et l’exemple de Washington-Dulles aurait tendance à nous convaincre que ce n’est pas aussi évident. En admettant que cela soit vrai, la bonne tarification correspondrait à une situation de recettes au-dessous de l’optimum, entre le maximum du surplus collectif et le maximum du surplus net des exclus

Le péage de zone relève d’une démarche analogue

La notion d’exclus est aisée à définir dans le cas d’un péage d’ouvrage, mais elle l’est moins dans celui d’un péage de zone. Lorsque les autorités ont instauré un péage de zone à Oslo et Singapour, elles l’ont définit en sorte que le tarif en soit faible, que les trajets courts soient peu nombreux et que les personnes les moins favorisées n’en souffrent pas.

Suivant le niveau de la tarification, le péage peut modifier ou non le comportement des gens (habitudes de déplacement). S’il ne le modifie pas, le péage est un simple impôt, peut-être moins efficace qu’une bonne politique de stationnement. S’il le modifie, on est devant un sujet urbain plus que de transports, car les vocations des quartiers vont évoluer. C’est bien le sujet que commence à étudier la Mairie de Londres, dans son projet de créer un « toll ring », et le Maire sait qu’il y joue son avenir politique.

Pour aller au-delà de cette remarque simple et prendre les décisions à long terme judicieuses pour la ville, l’introduction de grandeurs concernant l’urbanisme est indispensable. C’est la définition de la notion de choix qui est essentielle : le simple choix de l’itinéraire inclut de fait un choix de mode de vie. Ce sujet, immense, demande encore de l’imagination et du travail, beaucoup de travail !