Table des matières

Les enjeux des modèles
Les difficultés de la modélisation
La demande de transport
A/La demande en heure de pointe
B/Les valeurs du temps ou plutôt le consentement à payer
C/Le budget consacré aux transports
L’offre routière
A/Les phénomènes de fil d’attente gouvernent la capacité des voies sans accès des riverains
B/La période de grève de décembre 95
C/Le CD2: les voies avec accès des riverains
Le schéma des voies en Ile-de-France
Conclusion

Vincent Piron

Modèles de traffic en zone urbaine, une méthodologie qui reste à inventer

Du point de vue de l’habitat, les mutations majeur es de ce siècle auront été le développement des villes et la naissance de l’automobile. L’évolution structurelle est probablement derrière nous, mais il reste encore des investissements importants à réaliser dans le domaine des transports urbains en France (plusieurs centaines de milliards sont en jeu) comme dans les pays émergents. Or les outils de prévisions, et particulièrement les modèles de prévisions de trafic, n’ont pas une fiabilité suffisante. Ils souffrent de trois faiblesses majeures qui sont :
– l’impossibilité de représenter un embouteillage,
– la mauvaise description des paramètres de choix des clients ;
– la négligence des effets structurels à long terme sur l’économie et le paysage social.

Le présent article s’efforce de démontrer le danger d’une utilisation trop confiante des modèles informatiques, et de proposer une approche complémentaire, pragmatique pour prendre en compte la diversité sociale, le consentement à payer des ménages et la réalité des embouteillages .

par Vincent PIRON
ancien Directeur de la stratégie et du développement, département concessions, Société Générale d’Entreprises (SGE)

LES ENJEUX DES MODELES

En décembre 1982 est votée la LOTI (loi d’orientation des transports intérieurs) qui prévoit une évaluation des grands projets d’infrastructure. En 1984, le champ et les modalités de cette évaluation sont définis. En 1995, apparaît l’instruction-cadre relative aux projets interurbains. En parallèle, une réflexion est menée sur une méthode d’évaluation des projets urbains.

Le problème change alors de nature et son degré de complexité s’accroît de façon considérable. Bien que les 42 millions de Français qui habitent en zone urbaine (74 % de la population) soient l’objet de nombreuses études, les efforts pour modéliser la réalité n’ont pas encore abouti.

Qualitativement, depuis le rapport Buchanan de 1963, les urbanistes, architectes , géographes e t sociologues ont décrit la relation entre l’habitat, les transports, le mode de vie, l’emploi, etc.. Mais du point de vue quantitatif, les données fiables sont très pauvres et très rares. Comment alors « évaluer » un projet?

Les premiers modèles de trafic ont été conçus il y a plus de 30 ans, principalement pour les trajet s routiers de rase campagne. Depuis 1963, bien des efforts ont été dépensés pour les adapter aux données urbaines, mais avec quel succès ? Les résultats ne sont -ils pas trompeurs ? Les décisions prises à l’aide de ces modèles sont -elles pertinentes ?

Le schéma directeur d’Ile -de-France est évalué à 300 milliards de francs ; les schémas de transport des autres métropoles ajoutent plusieurs dizaines de milliards ; au total, cela représente plus d’une année d’impôt sur le revenu ! Si l’on y additionne encore la valeur actualisée des déficits d’exploitation des équipements futurs, on double l’effort financier. L’enjeu mérite que l’on s’interroge sérieusement sur la validité des modèles.

Pourquoi ces divergences entre les résultats de certains modèles, qui pensent démontrer l’évidente rentabilité de tel ou tel ouvrage, et les réticences des décideurs à « passer à l’action » ? Les décideurs politiques perçoivent-ils intuitivement des paramètres fondamentaux encore mal modélisés, voire passés sous silence ? Pourquoi ces retentissants échecs financiers (Orlyval ) , ces problèmes liés au péage quasi-urbain (environs de Toulouse), alors que le succès du tunnel Prado-Carénage à Marseille se confirme, quoiqu’en-dessous des prévisions ? Le savoir est essentiel, car les mésaventures de certaines opérations financées par voie de concession engendrent un climat qui pèse lourdement sur les autres, renchérissant les coûts de montage financier au point de faire franchir au projet la barrière entre le finançable et le non-finançable.

Les erreurs nous semblent provenir principalement :
• d’une mauvaise connaissance de la situation réelle, actuelle ;
• d’une sous-estimation de l’univers de choix offert par les systèmes de transport ;
• d’une mauvaise connaissance des motivations et contraintes des clients potentiels.

Avec la flexibilité croissante des horaires de travail, et l’enrichissement constant de l’offre de transport, l’usager, prisonnier autrefois d’un mode et/ou d’un horaire, se mue en client d’un mode ou d’un autre, qui prend sa décision en fonction de multiples paramètres, économiques et humains.

Les voiries à péage en zone urbaine constituent encore un élargissement du choix du client. Comment tenter de modéliser son comportement, tel est le but de quelques réflexions du présent article.

LES DIFFICULTES DE LA MODELISATION

Le produit proposé au client sous le nom de « transport en zone urbaine » se caractérise principalement par :
– sa vitesse moyenne porte à porte ;
– son coût tel qu’il est ressenti par le client ;
– son confort, au sens le plus large du terme;
– sa garantie de temps de parcours ;
– son coût de stationnement à destination, pour les modes de transport individuels.

Ce simple énoncé met en évidence les difficultés des modélisations.
1. La vitesse réelle des voitures sur voie urbaine est mal connue. Jusqu’à récemment, les techniciens s’intéressaient beaucoup plus aux débits qu’aux vitesses, car ils sont moins chers à mesurer et simulables sur des modèles dérivés de ceux de rase campagne. Mais l’apparition des ouvrages à péage bouleverse la donne : les voiries complémentaires urbaines offrent du temps, et de la garantie de temps de parcours. Le vrai paramètre de calage doit donc être non pas le débit, mais la vitesse, qui commence tout juste à être connue depuis Sirius et l’équipement du boulevard périphérique de Paris.

2. Le coût ressenti par le client
C’est la somme d’un coût monétaire, représentant les dépenses du client (essence, ticket de métro, carte orange) et d’un coût fictif, produit de la valeur du temps du client par sa durée de transport. Si le coût monétaire est bien connu, le coût du temps l’est très mal.

3. Le confort, la sécurité, la tranquillité, sont des paramètres essentiels du choix modal : on ne sait pas encore les quantifier.
Les pénibilités d’une rupture de charge ou d’une attente sont très mal connues.

4. La garantie de temps de parcours
La dispersion des temps de parcours a rarement été étudiée , car le processus est lourd et la question n’est pas fondamentale pour le maître d’ouvrage, tant que les usagers sont captifs d’un mode, d’un itinéraire ou d’un horaire. Chacun s’appuie alors sur sa propre expérience pour évaluer son risque. Mais si les usagers ne sont pas captifs, la question devient alors fondamentale et transforme le problème.

5. Le stationnement à destination, partie intégrante du système de transport, n’est pas relié aux données sur les origines et destinations des déplacements.

Que faire alors ? Nous nous sommes limités à examiner quelques problèmes routiers liés aux voiries à péage.

Il faut de nombreuses mesures de vitesse

Comme les voiries à péage fonctionneront en « déversoir » durant les heures où la demande sature le réseau maillé rapide gratuit, il est essentiel de connaître la distribution annuelle de ces heures, et le degré de saturation du réseau. Idéalement, il faudrait même pouvoir tracer une courbe de « vitesses classées », au sens où les spécialistes de transport travaillent sur des « débits classés », pour déterminer le dimensionnement optimum des installations.

Dans un premier temps, nous avons tenté d’exploiter au mieux les données de Sirius et du tunnel Prado – Carénage, et mesuré les vitesses sur les itinéraires concurrents gratuits des deux projets les plus avancés en Ile-de-France : A86 ouest et Muse.

Dans un deuxième temps, il faudra observer A14 et le contournement de Lyon. Les enseignements que donnera A14 ne concerneront réellement le trafic urbain que lorsque d es échangeurs seront construits entre A86 et Orgeval. Le contournement nord de Lyon sera le prochain point expérimental fiable pour la zone urbaine.

Dans un troisième temps, il faudra créer un modèle pour l’Ile-de-France, sur la base des enseignements de Marseille et de Lyon.

Voyons donc les résultats des premières analyses.

Seule l’utilisation d’un itinéraire tout au long de l’année donnera les renseignements nécessaires sur la fréquence et l’importance des saturations. Cela exige un grand nombre de mesures, réparties judicieusement pour couvrir toutes les circonstances fréquemment rencontrées, avec un degré de fiabilité proportionné à l’ampleur des enjeux financiers.

Les gains de temps offerts par une voirie complémentaire urbaine sont de l’ordre de quelques minutes (10, 15, 30 au maximum) : il faut donc un découpage temporel fin pour mesurer les phénomènes, comprendre les raisons des déplacements, les coûts associés, et les modéliser. La méthode traditionnelle, qui comprend deux heures de pointe le matin et trois heures de pointe le soir, avec sept ou huit heures moyennes intermédiaires, n’est pas assez précise pour conforter une prévision de recettes.

Pour un ouvrage écoulant 30 000 voitures par jour, ce qui n’est pas considérable en milieu urbain, et avec une valeur du temps de 60 francs par heure, un gain de temps d’une seule minute par rapport au trajet gratuit engendre une recette théorique annuelle de 10 millions de francs et permettrait de lancer une opération de 100 millions de francs. Ce ratio (100 MF par minute gagnée) est bien celui que l’on constate à Marseille, pour le tunnel Prado-Carénage. Par conséquent, la connaissance des durées de trajet en surface doit présenter une précision meilleure que la minute.

C’est pourquoi nous avons voulu tester soigneusement les deux itinéraires gratuits actuels qui seront concurrents des deux projets A86 ouest et Muse (première phase).

Dans le quart sud-ouest de l’agglomération, la demande de déplacements Nord-Sud est aujourd’hui obligée de se satisfaire des autoroutes A12, A6, A6a, ainsi que de la RN 118. La construction de A86 ouest va alléger la pression sur A12 et la RN 118, de même que Muse (Issy – Clamart) va contribuer à écouler les flux utilisant aujourd’hui la RN 118 et la route départementale reliant Chatenay Malabry à Issy (RD2).

Nous avons donc effectué 1200 mesures, durant deux ans et demi, 900 sur la RN118 et 300 sur le CD 2, chaque mesure comprenant le relevé des temps de passage devant 12 repères pour la RN 118 et 8 pour le CD 2. Cette quantité de données (13 000 en tout) est une approche minimale pour donner une idée du fonctionnement de ces deux itinéraires durant toute l’année. Nous présenterons toutefois les résultats significatifs, avec quelques illustrations des phénomènes de pointe.

LA DEMANDE DE TRANSPORT

Elle est très variable dans le temps et pourrait se présenter comme le produit de trois fonctions : l’une de cycle saisonnier, une autre de cycle hebdomadaire et une troisième de cycle quotidien (voir figure 1, un exemple de cycle quotidien).

La fonction de saisonnalité apparaît dès que l’on fait un traitement statistique des mesures. On distingue alors nettement trois périodes :
– les jours ouvrés normaux
– les week-ends, périodes des petites vacances, des ponts et les six semaines les plus vides de l’été
– les jours d’incidents (grèvesdes transports publics, accidents, première pluie, neige, … )

Sur la RN 118, il faut compter 43 semaines normales e t 9 semaines fluides par an, ce qui donne 215 jours normaux par an. En admettant grossièrement qu’il y ait deux heures et demie de forte demande le matin et trois heures le soir, il y aurait 1 182 heures chargées régulièrement.

À cela, il faut ajouter les incidents. Mises à part les grèves, les incidents routiers et météorologiques sont apparus dans 2 % des trajets. Pour cet itinéraire, il est alors convenable de prendre 1200 heures de pointe par an.

La demande en heure de pointe

Ce fut, bien sûr, l’objet de toutes nos attentions. Les chiffres donnés précédemment résultent de l’équilibre entre l’offre routière et la demande de déplacements. En effet, idéalement, la durée de la demande de pointe ne devrait pas excéder quatre heures par jour, soit 860 heures par an ; c’est le rythme normal de la vie d’une ville. L es dépassements de cette durée proviennent de décalages volontaires des heures de départ des automobilistes qui veulent éviter les pertes de temps dans les embouteillages. C’est donc la durée de la période de pointe sur une voie particulière qui est le bon paramètre de mesure de la demande. Il n’est que d’écouter les radios donnant les informations du SIER pour identifier les voies les plus saturées.

Chronologiquement, après la classique cuvette de Savigny sur A6, ce sont les autoroutes A4, A1, A13, A15 qui sont le plus citées le matin. Le boulevard périphérique vient ensuite, jusque tard dans la matinée.

Par conséquent, les temps de parcours présentés dans la figure n° 2 mesurent la position d’équilibre entre :

À titre de comparaison, le tunnel Prado-Carénage en subit 900 par an, le boulevard périphérique sud de Paris de l’ordre de 1 800 heures par an, et le pont sur le Tage à Lisbonne de 3000 heures par an.

Le soir, le schéma est différent : Paris reste longtemps saturé (jusque vers 20 h 30), ainsi que les axes de sortie sur 3 à 5 km, en amont des goulots d’étranglement tels que le viaduc de Saint-Cloud et les carrefours de A86 (Saint-Maurice, tunnel de Thiais).

En fait, l’agglomération présente un fonctionnement dynamique d’éponge à voitures. Le matin, les banlieusards les plus lointains se lèvent le plus tôt, et engendrent une sorte d’onde d’embouteillage, qui se propage, sur A6 par exemple, de la cuvette de Savigny (vers 6 h 45) à A86 (vers 7 h 15) au boulevard périphérique vers 7 h 45 et dans Paris vers 8 h 15.

Le soir, le phénomène s’inverse : l’éponge se vide à partir de 16 h, mais moins vite qu’elle ne s’est remplie, car la demande de déplacements est plus variée (les trajets domicile – travail ne sont plus prépondérants) et la capacité des voies est réduite (nous y reviendrons à propos du CD 2).
– la demande totale en nombre de déplacements
– la durée de l’embouteillage au carrefour du Petit-Clamart

C’est le jeu des priorités qui définit le fonctionnement du carrefour , et le rythme de vie des migrants. La priorité sur les voies rapides étant, de fait, prise par l’entrant, la petite couronne est prioritaire sur la grande et les habitants de l’Essonne et des Yvelines doivent passer le carrefour du Petit-Clamart avant ceux des Hauts-de-Seine s’ils ne veulent pas y faire trop la queue. Si l’on crée une voie supplémentaire, à péage, on modifie cet équilibre et ses clients principaux ne seront pas les habitants du département que la voie traverse ; ce seront ceux qui sont en amont.

C’est pourquoi, pour prévoir le comportement des automobilistes, un bon modèle devrait représente la clientèle potentielle de façon précise même loin de l’ouvrage , et en particulier décrire convenablement la demande:
• où habitent et où vont les captifs de la voiture;
• combien de captifs de la voiture sont en même temps captifs de l’horaire (pour cause d’enfants à conduire à l’école, par exemple) ;
• quel est le consentement à payer des captifs de l’horaire, en tenant compte du confort de transport, et des effets fiscaux ;
• quelle est la fréquence des trajets triangulaires domicile – travail – autres motifs – domicile.

La valeur du temps, ou plutôt le consentement à payer

Paramètre essentiel des modèles, la valeur du temps de transport est un concept à éclater en plusieurs notions bien distinctes (voir article précédent dans Transports n° 377, mai -juin 1996). Parmi elles, c’est le consentement à payer des ménages et des entreprises que l’on cherche à approcher .

Concrètement, l’étude de la situation actuelle du tunnel Prado-Carénage constitue aujourd’hui la meilleure source de données.

L’estimation du consentement moyen à payer par calage a posteriori du modèle de trafic n’a pas donné grand chose car l’ajustement d’un seul paramètre pour obtenir le trafic moyen du tunnel ne donnait pas une bonne reconstitution des trafics des O/D (couples origine – destination).

Une autre approche a donc été réalisée, à partir de mesures de temps de parcours et d’une enquête sur les préférences déclarées, combinée avec une enquête sur les choix réels des automobilistes. L’analyse de ces enquêtes a conclu à une répartition de la valeur du temps selon une courbe très dissymétrique, fortement étalée vers les valeurs élevées, avec une allure de courbe log normale (voir figure n° 3), combinée avec une logit de paramètre 0,25.

Le pic de distribution se trouve vers 30 F, la valeur médiane est de l’ordre de 50 F, et la moyenne est de l’ordre de 63 F. Cette grande variation confirme que les études de trafic doivent faire jouer un rôle essentiel à la répartition socio-économique de la clientèle potentielle.

Notons que les résultats de l’enquête définissent l’intégrale de la courbe de distribution et non la courbe elle-même. De fait, cette dernière peut aussi bien être approchée par une somme de deux courbes, (une courbe log normale pour le temps personnel et une gaussienne pour le temps facturable), que par une seule courbe d’allure log normale.

Pour le moment, les modèles de trafic se sont surtout attachés à mesurer les besoins de déplacements sur réseau gratuit, et quel que soit l’usager, car c’est le rôle de la puissance publique de concevoir un réseau « égalitaire ». Dans le cas des concessions de voies à péage, le problème est autre : il s’agit d’aller rechercher le client qui peut –et qui accepte de– payer un service spécifique.

La carte ci-contre illustre le consentement à payer des ménages en Ile-de-France. Il faudrait affiner le calcul schématique de ce consentement («argent libre » divisé par « temps libre ») en introduisant un paramètre reflétant le confort. On aurait là une véritable carte de la clientèle potentielle. Mais comment chiffrer le confort ? Cela constitue sûrement un des axes de recherche sur la modélisation.

Le budget consacré aux transports

À la différence des trajets en rase campagne, les trajets urbains sont courts et répétitifs, matin et soir, tout au long de l’année. Si l’on veut vérifier l’adéquation du tarif à pratiquer avec le pouvoir d’achat des ménages, ou le consentement à payer des entreprises, il faut raisonner en budget mensuel ou même annuel.

On constate alors que la tarification admise par la clientèle et les décideurs politiques dépend considérablement des paramètres suivants :
• le péage est-il remboursé par l’employeur ?
• le péage est-il inclus dans des frais professionnels et donc passe -t-il en charge d’un compte d’exploitation d’entreprise ?
• le péage peut-il faire partie des frais réels présentés dans la déclaration d’impôt sur le revenu ?
• le gain de temps permet-il un augmentation de chiffre d’affaires de l’entreprise ?

Si la majorité des utilisateurs potentiels sont remboursés, un concédant peut admettre une tarification élevée. Sinon, c’est le consentement à payer des ménages concernés par l’ouvrage qui guide les décisions, et le tarif est alors bas. Comme dans toute ville on observe de grandes hétérogénéités de revenus et de lieux d’activités professionnelles, le dessin d’un réseau optimal à péage n’a aucune chance de coïncider avec la mise à péage de segments de réseau que la puissance publique a renoncé à financer seule.

Le coût additionnel de péage doit, bien entendu, se comparer au coût total de transport ressenti par les clients potentiels. Nous avons observé qu’un péage obligatoire induisant une augmentation de 20% du coût total des trajets ne crée pas de mouvements d’opposition (péage urbain d’Oslo par exemple, ou celui du pont sur le Tage). Au-delà, il y a risque de réactions politiques. Si le péage n’est pas obligatoire, la clientèle a le choix et est d’autant moins nombreuse que le tarif est fort.

À Marseille, on constate que le tunnel reçoit environ 400 francs par client régulier et par mois, avec au moins 40 % des c lients qui se font rembourser les déplacements (les clients réguliers représentent 4 % des gens potentiellement intéressés par l’itinéraire). Les réflexions en cours sur A14 s’orienteraient vers une tarification mensuelle au niveau de la carte orange, soit de l’ordre de 600 francs.

Cette approche budgétaire ne remplace pas les modélisations mathématiques, mais les complète et tempère leur optimisme, qui trouve toujours le maximum de recettes avec une tarification élevée.

Si le péage autoroutier pour partir en vacances ou rendre visite à sa famille est perçu comme une dépense permettant d’augmenter le temps passé à destination, le péage urbain quotidien sera évidemment perçu comme un impôt supplémentaire, lié de plus à la nécessité d’aller au travail. Il est significatif de voir qu’au tunnel Prado-Carénage à Marseille le trafic de l’heure de pointe du soir s’est établi beaucoup plus rapidement que celui du matin : le consentement à payer pour un motif de déplacement agréable est fort.

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L’OFFRE ROUTIÈRE

À offre physique constante (largeur d es voies , caractéristiques géométriques des routes et carrefours, cycles des feux,…), la capacité d’un réseau routier varie en fonction de la demande. La description du réseau doit donc comporter un paramètre qui dépend du trafic que le réseau écoule, et c’est dans cette description que le problème se pose.

Les phénomènes de file d’attente gouvernent la capacité des voies sans accès de riverains.

Tous les automobilistes savent bien que lorsque deux itinéraires confluent, il y a risque d’embouteillage au point de jonction, même s’il s’agit d’itinéraires à sens unique du type autoroutier. Lorsque le trafic est faible, la capacité de la voie en aval du confluent peut accepter la demande qui est somme des deux débits amont. Il en résulte seulement un léger ralentissement, que les modèles savent représenter: c’est la branche haute de la courbe débit – vitesse. Lorsque le trafic est élevé, il y a fort ralentissement, et même bouchon. C’est la branche basse de la courbe débit-vitesse.

Le système Sirius a permis de traiter de nombreuses données (3 500) sur A6a, dans le sens province vers Paris pour représenter cette courbe débit- vitesse (voir figure 4).On voit parfaitement deux régimes distincts:

– l’un, fluide, correspond à des vitesses comprises entre 90 km/h et 110 km/h.
– l’autre, saturé, correspond à des vitesses inférieures à 40 km/h.

Il y a une transition rapide entre ces deux régimes. Ces mesures montrent bien la loi du tout ou rien de la circulation sur les grands axes sans accès de riverains: soit on y roule vite, soit on y est bloqué. Or, les modèles de trafic actuels utilisent une courbe analogue à celle présentée en figure 5. Ils sont absolument impuissants à représenter la branche basse de la courbe débit -vitesse, branche qui représente précisément les conditions de circulation contre lesquelles le public proteste, et où se trouvent les clients potentiels des voiries à péage.

Une analyse fine du fonctionnement du carrefour entre la RN 118 et l’autoroute A86 au Petit Clamart, découpé en tranches d’une demi-heure, illustre le phénomène de saturation.

Schématiquement, la capacité de la RN 118 en direction de Paris est celle du tronçon le plus étroit, soit deux voies vers Paris, juste avant l’éclatement en quatre voies au pont de Sèvres. Entre le Petit Clamart et ce tronçon étroit se trouvent quatre entrées, et une seule sortie qui ne débite pratiquement pas le matin : c’est donc un cas d’école pour analyser les vitesses et phénomènes de queue engendrés par les insertions (figure n° 6). La figure n° 7 est démonstrative du fait que les vitesses sont d’autant plus grandes que l’on s’approche du pont de Sèvres, à l’inverse de ce que donnent les modèles habituellement utilisés.

Comme on s’y attend, deux régimes se présentent:
– le régime fluide, rencontré tôt le matin, en milieu de journée, ainsi que durant les vacances et les week-ends ;
– le régime saturé, en heures de pointe des jours ouvrables, avec croissance de la vitesse au fur et à mesure que l’on se rapproche du tronçon le plus étroit.En période de saturation le matin, le fonctionnement découle des lois de priorité : la file de droite laisse passer un véhicule sur deux à chaque insertion. Les véhicules en aval de l’insertion sont donc, de fait, « demi-prioritaires » sur les véhicules amont. Les véhicules amont n’avançant plus assez vite, forment une queue qui remonte vers Bièvres. Les véhicules situés le plus en aval (en provenance de Chaville), bénéficient de l’effet régulateur de l’insertion amont, et s’insèrent sans problème directement dans le tronçon aval, le plus fluide, en direction du pont de Sèvres et de Paris. D’ailleurs, cela fait des années que la Ville de Paris sait que la gestion de la fluidité du boulevard périphérique passe par le contrôle des accès, et notamment la réduction des insertions à une seule file.

Le même phénomène est observé à Lyon (tunnel de Fourvière) où les véhicules provenant de Tassin n’éprouvent que peu de difficultés à prendre le tunnel, alors que ceux d’Ecully, et surtout de Limonest, souffrent d’embouteillages de plusieurs minutes. On le retrouve encore à Lisbonne (accès nord du pont du 25 avril), où l’accès le plus fluide est celui le plus proche du pont, à Alcantara, alors que le plus congestionné est celui de Campoli de, tout au nord du viaduc d’accès. Oslo, indépendamment de son péage urbain, présente encore la même caractéristique sur l’autoroute E18.

Enfin , dans sa gestion du tunnel Prado-Carénage, la société exploitante se coordonne avec la Ville de Marseille pour que la priorité à la sortie « Carénage » soit bien donnée au tunnel, les voies de surface pouvant, elles, former un réservoir tampon.

Le débit d’une voie rapide de type autoroutier en zone urbaine dépend principalement de ce qui se passe à l’extrémité aval du tronçon étudié, c’est-à-dire de la fluidité du débouché. Lorsque l’extrémité se trouve en zone

La période de grèves de décembre 1995

Durant la grève des sociétés publiques de transports, en décembre 1995, nous avons poursuivi nos mesures et constaté que la loi des files d’attente était bien celle qui prédominait dans le fonctionnement du réseau. La priorité étant à l’entrant, de forte densité d’activité humaine (population + emplois par hectare), la voie rapide est embouteillée aux heures de pointe, les queues se propagent vers l’amont et donc le débit est faible, malgré une forte capacité théorique.

C’est ce que montre la figure n° 8, où l’on constate que l’autoroute A6a présente, à partir de 7 heures, un débit plus faible vers Paris qu’en sortie de Paris, alors que la demande est évidemment plus forte (données du SIER, traitées par l’Union Routière de France). Le goulot d’étranglement est constitué par l’insertion de l’A6a sur le boulevard périphérique. L’augmentation de la capacité autoroutière par la construction de MUSE ou A 86 ouest va réduire la demande sur A6a et sur la RN 118. Par conséquent, leurs débit s augmenteront, ainsi que leur capacité de « concurrence » des voies à péage.

Les modèles de trafic sont conçus en principe pour calculer la position du nouvel équilibre, mais comment peuvent-ils le faire correctement si la loi débit-vitesse n’est pas convenablement représentée ?

La petite couronne, le matin, a moins souffert des grèves que la grande couronne, car les bouchons sur les axes primaires très à l’amont de Paris, formaient écran et préservaient une relative fluidité près de Paris (figure n° 9 page précédente).

Le CD 2 – les voies avec accès de riverains

Le phénomène des files d’attente sur les voies sans accès de riverains est simple à comprendre , sinon à modéliser. Mais sur les voies urbaines normales (rues, avenues, boulevards…), il se combine avec trois phénomènes additionnels :
– les feux de circulation ;
– l’utilisation de la voie par des véhicules utilitaires (livraisons, autobus, ramassage des ordures, cars scolaires,…) qui en réduisent la capacité, surtout si le stationnement est anarchique et ne leur laisse pas les créneaux nécessaires ;
– les véhicules qui se garent ou quittent leur place de stationnement.
– les véhicules en double file, qui attendent les écoliers…C’est, bien entendu dans les centres-ville que ces activités de la vie courante se font le plus sentir, et particulièrement l’après-midi, lorsque se produisent les déplacements pour tous motifs.
Deux conséquences en découlent :
– la capacité du réseau de voies urbaines est plus faible l’après – midi que le matin, car les services de livraison le matin sont terminés avant le rush des trajets domicile – travail ;
– cette capacité plus faible, combinée aux déplacements plus nombreux, rend l’heure de pointe du soir plus longue que celle du matin.

Le soir, si l’on ajoute à cela le surcroît de trafic créé par un centre ville dense (Paris) qui se vide à travers une banlieue déjà peu fluide, les vitesses deviennent très faibles. C’est la configuration que décrivent les mesures de temps de parcours sur la RD2, entre Issy-les-Moulineaux et Chatenay-Malabry. Les temps de parcours y sont sensiblement plus longs que pendant l’heure de pointe du matin (figure n° 10).

Cette observation ne s’applique pas à la RN 118, qui n’a pas d’accès de riverains. Sur celle-ci, les embouteillages le soir, en sortie de Paris, ne se produisent que lorsque le centre commercial de Vélizy ajoute son flux à celui des trajets domicile- travail et qu’il se produit, simultanémdent, de forts ralentissements sur A 86 qui font remonter les files d’attente jusqu’à la RN 118. Sinon, l’itinéraire est toujours fluide. Le trafic poids lourds se réduit fortement, dès 17 h, avant la principale demande du trafic automobile, et la RN118 offre donc trois voies fluides pour quitter la zone dense.

L’an dernier, nous avions évalué à 5 milliards de francs par an les recettes potentielles de voiries à péage en Ile-de-France (cf. article paru dans Études Foncières n° 68).

Les données de Sirius viennent éclairer cette estimation. Par rapport à une situation de référence, réputée convenablement fluide (60 km/h sur autoroute, 35 km/h dans Paris), il est maintenant possible d’estimer le temps réellement perdu dans les embouteillages et de le valoriser. La valeur du temps en milieu de journée est plus grande que celle du matin et du soir, puisque le taux de déplacements professionnels est plus fort. Nous avons fait une hypothèse sur la variation de la valeur de l’heure tout au long de la journée, liée au pourcentage de déplacements facturables.

L’ordre de grandeur est de 8 milliards par an, dont une partie seulement (la moitié peut-être) peut être convertie en péage sur les axes judicieusement placés. Le résultat est un peu plus faible que celui obtenu avec l’approche précédente (voir tableau 11).

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LE SCHÉMA DE VOIRIES EN ILE -DE-FRANCE

L’an dernier, nous avions évalué à 5 milliards de francs par an les recettes potentielles de voiries à péage en Ile-de-France (cf. article paru dans Études Foncières n° 68).

Les données de Sirius viennent éclairer cette estimation. Par rapport à une situation de référence, réputée convenablement fluide (60 km/h sur autoroute, 35 km/h dans Paris), il est maintenant possible d’estimer le temps réellement perdu dans les embouteill ages et de le valoriser. La valeur du temps en milieu de journée est plus grande que celle du matin et du soir, puisque le taux de déplacements professionnels est plus fort. Nous avons fait une hypothèse sur la variation de la valeur de l’heure tout au long de la journée, liée au pourcentage de déplacements facturables.

L’ordre de grandeur est de 8 milliards par an, dont une partie seulement (la moitié peut -être) peut être convertie en péage sur les axes judicieusement placés. Le résultat est un peu plus f aible que celui obtenu avec l’approche précédente (voir tableau 11).

Le nombre de déplacements embouteillés en jour ouvrable est de l’ordre du million, correspondant à 500 000 véhicules (300 000 sur les grands axes, auxquels s’ajoutent 60 % environ sur les axes secondaires), soit 10 % de la totalité du parc automobile francilien.

Rappelons que les dépenses automobiles représentent annuellement 135 milliards de francs, dont 105 payés par les ménages et 30 par les entreprises. L’enjeu de 4 milliards de péage ne représente que 3 % du montant total des dépenses, ce qui est faible. Mais seule une

Les vraies questions se révèlent alors ainsi :
– quels sont les itinéraires nouveaux qui seront les plus désirés, et les plus capables de mobiliser ces 4 milliards?
– ces itinéraires sont-ils désirés par une clientèle solvable ?
– combien leur construction va-t-elle coûter ?

En attendant l’hypothétique mise au point d’un modèle de trafic représentatif de la circulation urbaine, la pression de la demande de déplacement se mesurera par la longueur des embouteillages aux carrefours critiques, et surtout par la durée quotidienne de ces embouteillages. C’est là que l’exploitation des données de Sirius prend tout son sens.

C’est en enrichissant le réseau routier par des voiries qui soulagent celles dont la durée d’embouteillage est la plus longue, que le nombre d’heures d’utilisation de l’infrastructure complémentaire sera la plus grande, et donc la rentabilité (socio – économique ou financière) la plus forte. La réduction volontaire de la capacité des voies gratuites existantes ne se justifie qu’en complément, ou en condition préalable à une opération d’urbanisme de forte ampleur.

Les incertitudes méthodologiques sur les prévisions de recettes en zone urbaine sont telles qu’il paraît raisonnable de limiter le montant à investir par opération. Peut -être faudrait-il développer l’idée de « tronçon test » en attendant les premières années d’exploitation de A14 (Orgeval – la Défense) et du BNPL?

Il est sûr en tout cas, que la logique d’utilisation maximale d’une infrastructure conduit à proposer des voies à péage à sens alternés. Depuis plusieurs années, les USA pratiquent ce système. La voie à péage, complémentaire du réseau gratuit, est utilisée dans un sens le matin et dans l’autre le soir, de façon à maximiser le nombre d’heures d’utilisation.

On peut aussi utiliser la modulation tarifaire.

Si l’alternance des sens pose des problèmes compliqués, et que l’on cherche à minimiser l’investissement, c’est évidemment dans le sens de la sortie des zones de forte densité d’activité humaine qu’il faut orienter une voie à péage à sens unique. Que ce soit du point de vue financier (heure de pointe plus longue) ou urbanistique (limitation du trafic automobile pour motif personnel dans les zones à fortes densités), une voie en sortie présenterait une meilleure solution qu’une voie en entrée, et n’augmenterait pratiquement pas le trafic total.

La construction d’une route en zone dense est un acte social et urbain, et non un acte de transport seulement. Les faiblesses actuelles des modèles de trafic sont de trois ordres:
– du strict point de vue technique, ils ne savent pas convenablement représenter les phénomènes de queues, qui sont prépondérants dans le choix des itinéraires ;
– du point de vue comportemental, la pauvreté des données disponibles empêche de définir une segmentation pertinente des usagers de la route ou du transport public.
– du point de vue urbain, la valeur architecturale esthétique, conviviale du bati traversé par une voie n’est représentée par aucun paramètre du modèle.

Une route à péage propose un service particulier, qui s’adresse à une clientèle bien précise, à forte valeur ajoutée temporelle. L a régulation par le péage pose un problème politique qui doit être analysé de près, surtout s’il existe une part de financement public pour les ouvrages à construire. Les modèles économiques restent à établir, pour évaluer tant l’aspect redistributif de telles solutions que l ’ impact économique structurel qu’elles engendrent, bien au delà de la seule valorisation du temps gagné.

De plus, du strict point d e vue budgétaire, le schéma directeur de l’Ile-de-France est absolument infinançable au rythme des crédits actuels. Que cela ne trouble pas plus les décideurs, constitue un paradoxe supplémentaire portant le doute sur la validité de nos modes d’appréhension de la réalité.

CONCLUSION

La construction d’une route en zone dense est un acte social et urbain, et non un acte de transport seulement. Les faiblesses actuelles des modèles de trafic sont de trois ordres :
– du strict point de vue technique, ils ne savent pas convenablement représenter les phénomène s de queues, qui sont prépondérants dans le choix des itinéraires ;
– du point de vue comportemental, la pauvreté des données disponibles empêche de définir une segmentation pertinente des usagers de la route ou du transport public.
– du point de vue urbain, la valeur architecturale esthétique, conviviale du bati traversé par une voie n’est représentée par aucun paramètre du modèle.

Une route à péage propose un service particulier, qui s’adresse à une clientèle bien précise, à forte valeur ajoutée temporelle. La régulation par le péage pose un problème politique qui doit être analysé de près, surtout s’il existe une part de financement public pour les ouvrages à construire.

Les modèles économiques restent à établir, pour évaluer tant l’aspect redistributi f de telles solutions que l’impact économique structurel qu’elles engendrent, bien au delà de la seule valorisation du temps gagné.

De plus, du strict point de vue budgétaire, le schéma directeur de l’Ile -de-France est absolument infinançable au rythme des crédits actuels. Que cela ne trouble pas plus les décideurs, constitue un paradoxe supplémentaire portant le doute sur la validité de nos modes d’appréhension de la réalité.