Table des matières

Résumé
Ville et tranport: quelques repères méthodologiques
A/Les paramètres de description de la ville
B/Les distorsions de la ville
C/La demande de transport s’évalue à l’aune de la densité
D/Il n’y a pas de pôle tertiaire fort, ni de zone à haut revenu sans une bonne desserte rentière vers les pôles emplois
E/Le retournement structurel
F/Le stationnement
Le comportement des gens et sa représentation
A/Les flexibilités
B/Les rigidités
C/Un exemple concret : Lisbonne
D/Un autre exemple : Lyon
E/Les modèles de trafic en zone urbaine s’améliorent mais lentement
Les masses financières globales en jeux dans les transports
A/Le parc automobile
B/Les indicateurs de coûts
C/Les paramètres monétaires
L’Ile de France
A/Le contexte générale technique
B/Trouver des recettes complémentaires dans le futur : quelles idées?
C/Une difficulté commune à tous les péages urbains: tarifer l’heure de pointe
D/Un gisement inexploité de recettes : la tarification Ramsay-Boitteux sur les autoroutes
E/Un gisement inexploité de réduction des coûts
Conclusion

Vincent Piron

Vincent Piron
Directeur de la Stratégie et des Investissements, VINCI Concessions

Cet article fait suite à ceux parus dans Transports en 1996, et 1997, dans les numéros 377, 379, et 385. Deux ans d’exploitation de l’autoroute A 14, ainsi que la mise en service de deux ouvrages à péages à Lisbonne et à Lyon fournissent des renseignements précieux pour analyser les questions liées au péage d’ouvrage en zone urbaine, et par la même occasion de repenser le problème de l’Ile-de- France, qui sera toujours en filigrane ou en clair dans notre texte. Commençons donc par les questions spécifiquement urbaines avant d’attaquer les transports.

 

Ville et transport : quelques repères méthodologiques.

Ne confondons pas bonheur et mobilité. La politique des transports doit aider à construire une ville à vivre, et rechercher non à maximiser l’offre de déplacements, mais plutôt à minimiser les temps et les coûts réels de transports. Ceci passe logiquement par une minimisation du nombre de déplacements. C’est le rôle essentiel de l’imbrication entre urbanisme et transports.

Le transport n’est perçu ni comme un bien de consommation, ni comme un bien d’équipement. C’est un mal nécessaire, imposé par notre civilisation industrielle à métiers spécialisés. Moins on se transporte, mieux on se porte ; c’est dans ce sens que certaines villes conduisent leur urbanisme (Seattle ). La politique urbaine se doit d’offrir les services que propose la ville là où se trouvent ceux qui en ont besoin, en vue de réduire leur besoin de déplacements. Le vieillissement de la population conduira certainement à faire progresser la réflexion dans ce domaine.

Tempérons simplement cette remarque par le fait que le temps de transport joue un rôle de sas de décompression entre deux activités, entre les contraintes familiales et celles du travail, ce que les constructeurs automobiles ont parfaitement compris en développant le “cocooning ”dans leurs véhicules.

Le citoyen recherche un équilibre qui lui convienne entre la qualité de la zone d’implantation du logement, le lieu des emplois des adultes et ceux d’enseignement des enfants, le regroupement familial ou social, l’espace disponible dans et autour de son logement, les dépenses correspondantes, et celles qu’il consacrera, lui et sa famille, aux transports, …

On notera un fait important : les villes se transforment en permanence, et s’adaptent au réseau de transport existant. Le réseau de transport évolue en permanence avec la ville, parfois en retard (ce qui donne des embouteillages), parfois en avance (ce qui donne des routes peu utilisées ou des trains vides).

Tous les paramètres du mode de vie urbain interagissent, ce qui empêche d’être de façon doctrinale pour ou contre la voiture ou pour ou contre le transport en commun : tout quartier de ville a besoin des deux pour pouvoir se développer.

Quelques considérations essentielles viennent heureusement simplifier les réflexions sur les transports.

Les paramètres de description de la ville

Schématiquement, les villes se définissent par 4 paramètres :

  • le coefficient d’occupation des sols (COS), indicateur physique qui mesure la densité du bâti par rapport à l’espace libre ;
  • la densité d’activité humaine, indicateur sociologique qui se définit comme la somme, sur une surface donnée, de la population et des emplois qu’elle héberge, et divisée par ladite surface. En général, les données sont disponibles par commune. L’unité de surface retenue est l’hectare. Cette densité d’activité, que nous appellerons DAH, varie de 1200 dans les zones les plus denses de Paris, à 20 dans les banlieues pavillonnaires à tissu lâche. Le tissu haussmanien correspond à une densité de 300 environ ;
  • la densité de richesse, qui est également un indicateur sociologique. Elle se mesure par le revenu déclaré moyen par ménage. Ce revenu est disponible sur les fichiers de la Direction Générale des Impôts par commune. Même s’il faut effectuer quelques redressements sur les chiffres bruts fournis par l’Administration, il donne une bonne idée des richesses relatives des zones urbaines, suffisamment précise pour raisonner sur les villes. Son évolution dans le temps est particulièrement significative ;
  • les valeurs hédoniques : elles constituent une évaluation (et non une mesure scientifique) de la qualité de vie de la zone considérée. Bien entendu, elles ne sont pas totalement indépendantes de la densité de richesse, mais il existe parfois des lieux agréables à vivre, où l’enseignement est de qualité et les commerces sympathiques, et que la pression foncière a épargné…Depuis 30 ans, on assiste simultanément à une croissance du COS et à une décroissance de la densité d’activité, la simultanéité des deux phénomènes s’expliquant par l’augmentation de “l’espace vital ” par habitant. L’étalement de la ville a été quelque chose d’irréversible puisqu’il a correspondu à un confort accru, et à l’implantation des pôles industriels et logistiques en zone peu dense. Il réduit cependant la densité de services et accroît les coûts de fonctionnement de la ville. Il faut tenter de le limiter en rétablissant une bonne fluidité routière en petite couronne, et en travaillant sur la qualité de service globale proposée aux gens habitant les communes de petite couronne (emplois, commerces, transports en commun de bon niveau de service, …). Le vrai problème réside dans l’évolution de l’indicateur de richesse, qui démontre une ségrégation croissante des groupes sociaux.En sus de ces paramètres globaux, la fonction logistique joue un rôle essentiel et souvent mal connu des planificateurs. Le “ventre de Paris ”, les usines où travaillait l’ouvrier parisien, les centrales thermiques et d’incinération, se reportent toujours plus loin des zones à haut COS ou à forte DAH. La croissance de la grande couronne en résulte, avec un trafic de poids lourds de plus en plus important. En zone dense, les poids lourds ne représentent qu’une faible partie du trafic (5% en moyenne journalière, 2,5% en heure de pointe ). Sur les grandes artères périphériques, ils atteignent 20% à proximité des pôles logistiques. Si l’on considère qu’un poids lourd occupe la chaussée comme deux véhicules légers, le flux PL compte pour un tiers dans l’utilisation de la voie, et même plus si l’on considère que les différences de vitesse et de transparence entre VL et PL affectent la fluidité et la sécurité de chacun des types de véhicules.Il vient alors naturellement à l’idée de “protéger ”le centre ville (au sens large) du trafic qui n’a rien à y faire, et particulièrement des poids lourds en transit. En Ile-de-France, on pourrait concevoir un triangle de protection de la zone dense, reliant les pôles logistiques actuels et en développement, et à l’intérieur duquel seuls voitures et poids lourds de livraison seraient tentés d’aller, le transit étant attiré précisément sur ce triangle rendu fluide par quelques ouvrages complémentaires. La rapidité du trafic des transports en commun de surface en serait augmentée, et leur clientèle aussi.

Les distorsions de la ville

Deux distorsions sont évidentes : l’accentuation des différences de qualité de vie et de richesse entre les communes, et la croissance des encombrements dans certains points du réseau, qui contribue à augmenter la première distorsion.

Nous avons observé sur 8 ans le revenu moyen des ménages dans les communes d’Ile-de- France.(graphique n°1) Chaque point symbolise une commune. En abscisses se trouve le revenu annuel et en ordonnées sa croissance relative entre 1986 et 1994. Lorsqu’un ménage atteint un niveau de revenu qui lui permet d’améliorer son cadre de vie, il déménage et va s’implanter dans une commune de revenu moyen supérieur. Il se crée ainsi un phénomène “naturel ” de ségrégation, qui augmente la disparité de revenu moyen entre les communes. Ce graphique met en évidence le mécanisme de regroupement des habitants par classe sociale homogène. C’est ce que l’on appelle la formation de “ community gates ” à Los Angeles (F.Ascher). La politique de la ville a principalement pour fonction de réduire ces différences, et la qualité du réseau de transport fait partie des conditions à respecter.

Les poches de pauvreté viennent de la désindustrialisation récente des sites crées au début du siècle. Ces sites sont souvent devenus des zones logistiques, engendrant un fort trafic lourd, qui rend la circulation de plus en plus difficile. Il fut une époque où la construction d’infrastructures de transport était une “ardente obligation” dans un cadre fortement contrôlé par l’Etat. La situation actuelle est totalement différente : décisions éclatées, crédits en baisse, urgence moindre, conflit urbain entre ville et voiture,…

Les zones les plus riches, donc équipées depuis longtemps en voitures, et en infrastructures, souffrent moins des embouteillages que les zones anciennement pauvres, dont le parc automobile croît encore fortement, beaucoup plus vite que l’offre de voirie. Se limiter à du TC dans ces zones handicaperait leur chance d’attirer des emplois. Il y a donc un besoin encore considérable de construction de voirie dans le Nord, l’Est et le Sud Est de la petite couronne, ainsi que vers Roissy. Le point le plus urgent à régler est celui du tronc commun A 4 -A 86 à Joinville.

La demande de transport s’évalue à l’aune de la densité

La densité d’activité humaine représente la demande de transports car les gens de même mode de vie se déplacent à peu près tous autant, et donc la demande de déplacement est simplement proportionnelle au nombre de gens. Le graphique n°2 met en évidence la grande variation de la densité humaine en fonction de la distance au point le plus dense de Paris (quartier historique du Sentier, cœur de la ville commerçante du Moyen Age). Cette grande variation de la demande, ainsi que celle de l’espace disponible pour construire, montre que les solutions qui sont bonnes pour le centre de l’agglomération ne sont pas forcément celles qui conviennent à la périphérie.

Ce sujet a fait l’objet d’une étude précise du Secrétariat Général aux Villes Nouvelles (V.Fouchier), étude qui donne les ordres de grandeurs clarifiant le choix modal des Franciliens.

Les domaines de pertinence des transports en commun.

La combinaison de l’espace disponible, mesuré par le COS, et de la densité d’activité humaine (DAH) définit assez directement les domaines de pertinence des transports en commun. Au dessus d’une densité de 300, le métro ou le RER s’imposent. Entre 300 et 150, le tramway et le métro léger sont les bonnes solutions. En dessous de 150, on entre dans le domaine du bus, puis du minibus. Enfin la voiture clôt la liste des moyens adaptés, et domine dans le tissu pavillonnaire d’une densité inférieure à 50.

Le graphique n°3 montre que la forme des courbes décrivant la variation de la densité est la même dans un bon nombre de cités historiques européennes. Mais le niveau de ces densités est fort différent : le centre de Lyon atteint tout juste la densité de la première couronne parisienne.

Il n’y a pas de pôle tertiaire fort, ni de zones à hauts revenus sans une bonne desserte routière vers les pôles d’emplois

Les pôles tertiaires ne sont pas uniquement constitués de bureaux ! Sans ses commerces, restaurants, cinémas, aires de jeu, La Défense serait la City après 17 heures, en pire. Les down towns de Los Angeles, bien desservis par les transports en commun, n’ont pas empêché la création d’autres centres villes, proches, et qui sont aisément accessibles en voiture. Il est très imprudent de renoncer à une bonne desserte routière sous prétexte qu’il existe une bonne desserte en transport en commun. La régulation par la congestion n’en est pas une, et on ne conçoit pas de fonder une politique urbaine sur la congestion. Le commerce exige une bonne fluidité routière, et il en va de même pour les relations sociales au sens le plus large (loisirs, regroupement d’amis, de famille…).

Le colloque “Ville et Transports ” qui s’est tenu entre 1991 et 1994 a émis nombre d’observations pertinentes sur les densités, les morphologies urbaines, l’organisation de l’espace et les logiques de déplacement. Citons F.Damette et P. Beckouche (Strates)

[Le] retournement structurel [industrie nouvelle des années 60 ] peut se résumer en deux points :• les nouvelles industries, les nouveaux emplois industriels se localisent de préférence dans l’ancien secteur résidentiel, alors que la vieille banlieue industrielle, avec la crise accentuée de l’emploi industriel traditionnel, connaît une décroissance ; 

• à l’Est, va se développer, par contre, la fonction de commerce de gros, de stockage, de manutention de transports, de gares routières, de centres ferroviaires… en liaison avec le système de transport européen, en liaison avec les pays du Nord et de l’Est.

Citons encore : les grandes masses d’emplois se créent dans les zones chères. Or, dans ces bureaux, s’il y a une proportion non négligeable d’ingénieurs, de techniciens à hauts salaires, la majorité du personnel est constituée de personnel à salaires modestes, d’employés, de cadres et de techniciens moyens. En d’autres termes, ce qui caractérise le nouveau Paris, c’est que la majeure partie de la population est interdite de résidence dans sa zone d’emploi.

Une des raisons du déséquilibre social entre l’Est et l’Ouest francilien réside dans le plus grand temps de transport exigé des gens habitants l’Est, probablement lié au fait que les déplacements y sont plus longs, sinon plus lents. Les déplacements pour motifs “ autres ”, plus courts que ceux liés au travail, sont plus fréquents dans l’Ouest que dans l’Est.

Il faut alors lire cette analyse à l’envers : une zone ne peut plus devenir zone d’emplois nobles si elle ne présente pas la même qualité de transports( TC et VP) que l’Ouest de Paris. Fluidifier les voies routières de l’Est de l’agglomération devient donc une priorité sociologique.

Le stationnement fournit un moyen judicieux pour agir sur le choix modal

L’espace des voiries urbaines, pourtant rare, est plus utilisé en France par les véhicules immobiles en stationnement que par ceux qui roulent. Cette situation paradoxale signifie qu’on ne peut différencier en zone dense (densité d’activité humaine supérieure à 200 P+E/hectare ) le problème de la circulation de celui du stationnement. L’introduction des axes rouges à Paris, après bien d’autres capitales, en est une démonstration.

Les efforts de nouveauté dans la tarification du stationnement sont à même de résoudre des problèmes qui étaient antérieurement considérés comme de circulation. Le centre ville de Dijon en constitue un exemple. Le tarif de stationnement en surface y est fortement progressif en fonction du temps, alors qu’il est dégressif dans les parcs souterrains ou en élévation. Cette méthode engendre une bonne utilisation de la chaussée.

Mais les excès sont néfastes. Oslo, dans sa lutte contre l’automobile, avait introduit une tarification très élevée dans le centre ville. Les commerces sont partis et la municipalité a du ajuster à la baisse le coût du stationnement, pour éviter que le centre ville ne se fossilise. Manhattan et la City de Londres sont de bons exemples d’une régulation par tarification du stationnement dans des zones très denses, où les voiries sont étroites mais raisonnablement fluides.

Le comportement des gens et sa représentation

Les déplacements des ménages franciliens sont analysés régulièrement par les enquêtes EGT. Les motifs, les modes, les distances pour 16 000 ménages (14 par commune en moyenne) sont ainsi connus une fois tous les 8 ans, et extrapolés aux millions de déplacements quotidiens des Franciliens. Si certaines données globales sont stables et pourraient justifier un aussi faible échantillonnage, d’autres évoluent beaucoup et concernent au premier chef le choix modal. On y constate en effet que la part des déplacements liés aux affaires professionnelles et au travail diminue (de 1,4 à 1,0 déplacement par jour entre 1982 et 1990) et que celles des “autres motifs ” augmente. On les connaît très mal, mais ils pèsent cependant 1,2 déplacement par jour, soit plus que ceux liés au travail ! Les déplacements à courte distance ne sont pas assez bien connus. Ce sont pourtant ceux qui perturbent le plus les quartiers et centres des communes, et que l’on pourrait tenter de réduire par des actions d’urbanisme. La connaissance des bassins de vie (liaisons très fréquentes à courte distance), par métiers et par activité, nous paraît être l’élément essentiel.

Sur Lyon, la connaissance fine des déplacements provient d’enquêtes conduites à l’occasion du 6

contournement Nord, notamment après la mise en service de l’ouvrage. Il en va de même sur Marseille (tunnel Prado-Carénage) et sur les ponts sur le Tage à Lisbonne. Le rythme des enquêtes est annuel, sinon plus fréquent.

Les flexibilités

Lorsque l’automobiliste est gêné par la circulation, l’enquête qualitative de 1991 montre que sa première réaction est de modifier son horaire de déplacement. Avec la baisse du temps de travail et l’accroissement de la flexibilité des emplois et des horaires, cette tendance ne pourra que continuer à se développer. La deuxième réaction est de changer l’itinéraire, et la troisième de changer le jour du déplacement. Le changement de choix modal n’intervient qu’au cinquième rang. Il est donc vain de vouloir contraindre les gens à prendre les transports en commun : c’est au service de transports de répondre à leur attente. La publicité SNCF “c’est à nous de vous faire préférer le train ” est bien le pendant des “voitures à vivre ” de Renault. Comme les transports en commun sont fortement orientés vers les déplacements professionnels (pendulaires), ils répondent mal à une demande variable rapidement dans le temps et dans l’espace, sauf dans les zones de forte densité.

Dans certain cas, l’automobiliste peut aussi réduire son temps inutilisé dans les transports en effectuant une dépense monétaire : il “achète du temps ”. C’est la raison d’être des ouvrages routiers à péage, censément fluides. Que ce soit en interurbain ou en urbain, l’achat de temps s’apparente à un acte purement commercial, comme un achat de bien de consommation. Comme il s’agit de “réduire” un temps de transport qui ne sera jamais nul, le consentement à payer est une grandeur marginale et non pas moyenne, très variable suivant les individus et les circonstances. Elle s’applique à un temps inutilisé, ce qui n’est pas forcément le cas de la totalité du temps de trajet.

Il est bien clair que le consentement à payer des ménages pour acheter du temps n’a rien à voir avec la “ valeur du temps ” retenue par la puissance publique pour faire ses calculs économiques.

Le choix modal (motorisé ou non) pour les déplacements courts est lié à de nombreux paramètres. Il dépend, entre autres, de la proximité des services et de la “qualité de la ville”. Un même déplacement se fera à pied, en vélo ou en mode motorisé selon la “qualité” des trottoirs, le poids de la charge à transporter, la sécurité, le bruit ambiant, la qualité de l’air. Le choix entre TC et VP dépend aussi de ces paramètres. Ajoutons-y encore les phénomènes de saisonnalité, et nous aurons évoqué la complexité du sujet

Les rigidités

A l’inverse de ce qui a été présenté au paragraphe ci dessus, de nombreuses personnes ne sont pas en position de choisir leur horaire, mode ou destination. Elles sont captives, ou contraintes, par leur mode de vie. Citons par exemple les personnes qui déposent des enfants à l’école : ce sont des captives de l’horaire. Citons encore les gens habitant dans une banlieue mal desservie par les transports en commun : leur voiture les tient captives au sens où elles perdent moins de temps à utiliser la voiture que les transports en commun. Citons enfin les gens qui ne peuvent pas conduire, ou ne le veulent pas, qui sont les captifs des TC ou d’autres automobilistes (covoiturage).

Toutes ces personnes constituent un élément essentiel dans les décisions politiques, car l’équité du traitement des citoyens oblige les décideurs à tenir compte de leurs besoins et donc à effectuer des choix qui sont “ hors marché ” en ceci qu’ils protègent les plus contraints ou les plus démunis, indépendamment de la loi de l’offre et de la demande.

Pour résumer, il nous faut différencier les “ transports contraints ” et les “ transports non contraints, ou choisis ” car ces deux produits n’ont aucun rapport.

1. J’achète (au supermarché, c’est devenu possible ! ) mon transport vers le lieu de mes vacances : c’est un transport non contraint

  1. Je suis obligé de me déplacer à une heure donnée fixe, de payer ma carte orange en Ile-de- France ou mes déplacements en voiture car le mode de vie que je désire, l’organisation de la ville et mes ressources financières m’interdisent d’habiter près de mes pôles d’intérêt (lieu de travail, d’achats,…) : c’est un transport contraint.
  2. Je paye mon déplacement pour aller faire des courses : contraint ou non contraint, cela dépend des gens, des courses et des jours…

Jusqu’à un certain point, dans les comptes de transports, il faudrait compter négativement le PIB “ transport contraint ” et positivement celui du “ transport non contraint ”. En effet, un transport contraint ne participe pas à la création de valeur dans la ville, alors qu’il pèse de la même manière qu’un transport choisi dans la comptabilité administrative. Cette réflexion méthodologique serait à poursuivre, pour dépasser le cadre intuitif et tenter une quantification des grandeurs.

En tous cas il est certain qu’il existe de fortes distorsions entre l’approche micro-économique et l’approche politique : les exemples des traversées du Tage à Lisbonne et du boulevard périphérique nord de Lyon le montrent.

Un exemple concret : Lisbonne

Lisbonne est une ville historique située en rive Nord du Tage, dans un site de collines superbes. La rive Nord accueille presque 2 millions d’habitants, et la rive Sud 900 000 habitants. Lisbonne est une ville d’estuaire et non de fleuve car la coupure du Tage dépasse les 2 kilomètres et a interdit jusqu’en 1966 la traversée par voie terrestre. En 1966, un premier pont fut construit, et en 1998, le deuxième fut mis en service.

La rive Sud s’est développée vers les années 60 avec le secteur industriel lourd. Ce secteur est en recul aujourd’hui et le tertiaire, plus riche en emplois et en valeur salariale, se développe surtout à partir de la rive Nord. De ce fait, il existe un flux de transport Sud-Nord très important. D’où le besoin croissant de déplacements contraints pour avoir un emploi : traversées du Tage en voiture, train ou ferries.

La tarification actuelle sur l’ancien pont, de 150 escudos par aller-retour, correspond à 5 francs par jour, soit 2,5 francs par trajet. La parité de pouvoir d’achat du Portugal étant de 0,7 par rapport à la France, ce tarif représenterait 3,5 F en France. Il est donc très bas, et les tarifs des transports en commun de franchissement du Tage coûtent plus cher que cela.

Il était prévu d’augmenter le tarif de l’ancien pont pour l’aligner sur celui du nouveau lors de son ouverture, soit 320 Escudos. Mais le pouvoir politique en a décidé autrement après les manifestations d’opposition qui ont suivi en 1994 la dernière augmentation importante. L’ouverture du nouveau pont Vasco de Gama s’est alors faite à 320 escudos, sans que le tarif de l’ancien pont ne bouge. La croissance très rapide du trafic sur le nouveau pont ( 40 000 véhicules/jour sont apparus depuis avril 1998 ), même en août alors que l’ancien pont était gratuit, montre qu’en valeur absolue ce tarif de 320 escudos lui convient.

En parallèle, le gouvernement a instauré progressivement une régulation d’usage de la voiture par la politique de stationnement. L’introduction de stationnement à péage dans le centre de Lisbonne à raison de 150 ou 200 escudos/heure, soit 1200 à 1500 escudos par jour a été bien compris socialement, alors que l’idée de modifier le tarif sur l’ancien pont (augmentation prévue à 320 escudos, soit de 170 escudos/jour) a engendré de fortes réactions. Cela suggère que les gens ont consciemment intégré le fait qu’une voiture immobile qui prend de la place sur la chaussée ou le trottoir doit payer (c’est un réflexe d’urbanisme ) alors que la taxation d’un déplacement, surtout contraint, est ressentie soit comme un impôt supplémentaire, soit comme un frein à l’activité économique.

Sur l’ancien pont, ce sont les ménages à plus faibles revenus et à déplacements contraints qui souffriraient le plus de l’augmentation de tarif, si elle était uniforme sur la journée : c’est l’explication de la décision politique. Une idée vient alors : tarifer en fonction du service rendu. Il s’agirait de faire payer d’autant moins que la vitesse de traversée est plus faible. Cela engendre ipso facto une sous tarification de l’heure de pointe pour les déplacements contraints et fréquents des gens de la rive Sud. Plutôt que d’aligner le tarif de toute la journée sur le plus bas consentement à payer et perdre des recettes de péage (à compenser par des impôts), il vaut mieux s’aligner sur le péage haut et faire des réductions pour la petite partie de la population pauvre et à déplacements contraints qui passe en heure de pointe. Les études concernant ce principe de tarification sont en cours. Nous ne savons pas aujourd’hui quelle sera la solution retenue in fine. La place de la voiture dans la ville est traitée par ailleurs, grâce à la politique de stationnement.

Un autre exemple : Lyon

A Lyon, le problème était de construire et financer un périphérique à péage alors que les radiales d’accès au centre ville sont gratuites, et de contraindre les gens à prendre la voie à péage dans le double but de requalifier les radiales et de récupérer des recettes. Il a été décidé initialement de mettre en place une tarification à un niveau très élevé, de l’ordre de 15 F pour le franchissement du tunnel de Caluire. Pour que les gens soient obligés d’utiliser l’itinéraire à péage, la capacité de l’itinéraire gratuit, payé par les impôts, a été fortement réduite, sans contrepartie simultanée d’amélioration de qualité urbaine. La réaction du public a été fortement négative, d’autant plus que les restrictions de circulation portaient sur les trajets venant le matin de l’Est de la ville, zone plutôt défavorisée, et se faisaient au bénéfice des gens de l’Ouest. Ceci a encore été amplifié par le problème politique du péage de Roques à Toulouse, qui venait d’être résolu à l’avantage des usagers.

En revanche, sitôt rétablie une certaine liberté de choix et une tarification correcte (7 F pour un abonné, et 10 F pour un occasionnel ), adaptée aux niveaux de dépenses des ménages et aux contraintes urbaines, le contournement nord a pris dans le fonctionnement de la ville la place qui lui revenait. Grâce à deux enquêtes menées avant, puis après le changement de tarification, il a été possible de faire une analyse comportementale précise. Cette analyse a notamment mis en évidence trois phénomènes importants.

  • pour les trajets fréquents, le consentement à payer (exprimé en francs par heure) est d’autant plus faible que les distances sont courtes. On estime que ce consentement va de 20 F par heure à 45 F par heure pour les distances de l’ordre de 20 km En termes tarifaires, cela signifie que le tarif politiquement admissible varie avec une loi d’allure parabolique et non pas linéairement. Les trajets courts (moins de 2 km ) ne paieront pas une voie à péage et resteront sur la voirie gratuite, quelle qu’elle soit. Il faut rapprocher ceci des données du modèle Matisse de l’INRETS, qui estime que le consentement à payer varie de 50 F par heure sur les distances inférieures à 80 km à 120 F par heure pour les distances supérieures à 300 km. Ces observations sont corroborées par les études menées aux Etats Unis, où l’on considère comme classique cette variation parabolique ;
  • la matrice O/D du soir est très différente de celle du matin car il existe de nombreux déplacements triangulaires (domicile-travail-autre activité-domicile). Le matin, les gens vont travailler et ne sont guère enclins à payer pour se lever un peu plus tard. Le soir, en revanche, les motifs sont très divers, et beaucoup sont ressentis comme justifiant un paiement pour économiser du temps ;
  • les motifs professionnels sont très sensibles au péage, autant que les motifs personnels. Ceci veut dire que le découpage par motifs n’est pas pertinent pour ce type d’études, et qu’il faudrait plutôt une répartition des déplacements entre “ coût ressenti nul ou coût ressenti non nul ”.Il est frappant de constater que la division du tarif par deux n’a pas changé le niveau des recettes en heure de pointe, et a considérablement accru celles en heure moyenne. Ceci prouve que le tarif initial était bien au-delà de l’optimum des recettes. La campagne anti péage a été un facteur passionnel qui a certainement faussé un peu les mesures, mais pas le sens général de l’analyse.

 

Les modèles de trafic en zone urbaine s’améliorent, mais lentement

L’exemple du tunnel Prado-Carénage à Marseille, où les recettes sont nettement inférieures à ce qui était prévu, a conduit les spécialistes à renouveler leur regard sur les modèles. Les informations données par Lisbonne et Lyon ont apporté les compléments nécessaires à l’analyse : la logique des modèles actuels de trafic en zone urbaine est d’ordre économique et non comportemental ; celle qui prédomine dans les décisions des usagers/clients des ouvrages à péage est d’ordre comportemental plus qu’économique. Cet éclairage nouveau va permettre d’améliorer les modèles dont les principales raisons de dysfonctionnement étaient les suivantes :

  • le consentement à payer était parfois confondu avec les valeurs révélée ou tutélaire du temps, et était ainsi très surévalué ;
  • il dépend surtout de l’importance que représente le budget péage dans le budget mensuel /annuel des ménages et des entreprises, alors que les modèles négligeaient le paramètre “fréquence ” ;
  • le consentement à payer était considéré comme constant suivant la distance alors qu’il varie, augmentant avec la longueur parcourue, présentant effets de seuils et non linéarité ;L’évolution dans le temps du consentement à payer est plus faible que celle du PIB. Les raisons en sont les suivantes :
  • d’une part la majeure partie de la croissance des richesses du pays a été diffusée par des circuits de redistribution indirecte, autres que le compte en banque propre du salarié, et donc n’a pas été ressenti comme une réelle croissance de revenus ;
  • d’autre part, l’amélioration du confort des transports en commun et de la voiture, et la diffusion d’équipements tels que le walkman, le téléphone portable, la radio en voiture, …réduisent continûment la pénibilité et le gaspillage des temps de transport, contraints ou non contraints. Le temps passé dans les temps de transport n’est plus totalement perdu ;
  • l’algorithme contenu dans les modèles ne sait pas représenter correctement les phénomènes de queues et de files d’attente, ni leur impact sur le comportement des usagers ; l’article de Michel Rousselot dans le présent numéro de “transports ”expose certains aspects de cette faiblesse des modèles ;
  • on ne connaît pas encore assez bien la proportion de gens qui se font rembourser leurs déplacements ;
  • on ne connaît pas encore assez bien la proportion de gens dont les horaires sont contraints et ceux qui ont une relative flexibilité dans leurs décisions de déplacements.Autrement dit, les modèles de transport que l’on utilisait jusque très récemment sont mal adaptés aux problèmes posés, que ce soit pour l’évaluation socio-économiques des projets ou pour la représentation du comportement des voyageurs au moment où ils prennent leur décision de déplacement. Ce n’est pas étonnant que les élus aient parfois une perception très différente des techniciens sur ces sujets ! Les études les plus récentes du Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) montrent que la connaissance évolue dans le bon sens : les modèles de choix discrets décrivent plus précisément qu’avant le comportement des déplacements en milieu urbain.

Les masses financières globales en jeu dans les transports

Pour la France entière, en 1996, les dépenses liées à la voiture se montaient à 665 GF par an, répartis en 200 GF pour les acquisitions de voitures neuves (1,8 million d’unités), 25 GF d’acquisition de voitures d’occasion (4,5 millions d’unités) et 440 GF pour le fonctionnement. Cette répartition de postes de dépenses est stable depuis 10 ans.

Le parc automobile

Le parc automobile se stabilise progressivement (graphique n°4). Personne ne connaît la limite future du parc, mais l’observation des niveaux atteints aux Etats-Unis et en Allemagne préfigure ce qui pourrait arriver en France. Après un développement rapide entre 1955 et 1990, le parc automobile ralentit sa croissance et se rapproche de son état limite. Il n’y a donc plus grand chose à attendre du parc pour la croissance des recettes du système autoroutier, alors qu’une nouvelle tarification mieux ajustée que l’actuelle au service rendu par l’autoroute apporterait des ressources supplémentaires. On notera que les premières autoroutes construites l’ont été sur l’axe historique Paris-Lyon-Marseille, et que les autoroutes de deuxième génération (les Alpes, les Pyrénées et les axes Est-Ouest) ont souffert de difficultés financières, dont seule Cofiroute a pu se tirer, de justesse, d’ailleurs.

La TVA, la TIPP, les taxes douanières et la vignette constituent les tuyaux financiers de plus fort diamètre (plus de 200 GF par an ), pour alimenter le budget général des collectivités. Il s’y ajoute des péages spécifiques, initialement affectés à l’investissement, puis progressivement détournés de cette fonction par la création de “fonds ” qui recyclent les recettes provenant des péages routiers vers les investissements qui sont à la mode. Citons le péage autoroutier (26 GF en 1997 ), le péage de stationnement (1,7 GF environ ) et, pour compléter le dispositif, le péage d’ouvrage (0,6 GF environ).

Pour représenter les flux financiers provenant des péages, il est pratique de classer les sections autoroutières par recettes kilométriques décroissantes (graphique n°5). Ces sections sont évidemment d’autant plus rentables qu’elles desservent des zones denses (partie gauche du graphique ). L’extension du réseau autoroutier vers des régions à densités de plus en plus faibles revient à allonger les courbes représentatives vers la droite. Les recettes des sections déjà amorties couvrent les dépenses des sections à faible trafic. L’état financier des sociétés autoroutières est correct : quoique très endettées (160 GF aujourd’hui), leurs recettes actuelles permettent de rembourser les emprunts. L’extension envisagée de leur durée de concessions donnerait de l’espace pour quelques investissements supplémentaires. non finançables en pur financement de projet. Faut-il alors continuer à investir en rase (de plus en plus rase) campagne ?

Il est une autre façon d’envisager cet équilibre : les sections déjà amorties peuvent soutenir les sections dont le coût d’investissement est très élevé, c’est-à-dire les sections périurbaines. C’est certainement là que se trouve l’avenir des sociétés autoroutières, et une solution possible au manque chronique de crédits pour investir dans les transports en Ile-de-France

Sur l’Ile-de-France, en 1996, les dépenses de transports représentaient 201 GF. Celles liées à la voiture 150 GF, dont 138 GF à la charge des automobilistes et 12 GF à la charge des employeurs. Les dépenses pour les TC représentaient 42 GF, dont 10 GF payés directement par les clients, 14 GF payées par les employeurs, et 18 GF par les impôts. Les dépenses liées aux taxis représentent 5 GF, dont la moitié est remboursée par les employeurs. Les 4 GF dépensés par les 2 roues complètent le total.

Les dépenses franciliennes d’investissement se montent à 2 GF par an pour la route, et 3 GF pour les transports en commun. En sus des travaux courants, ces crédits permettent chaque année la construction de 1 km de A 86, de 1 km de métro (ou 5 km de tramway), et l’amélioration des voies et trains de la SNCF. Autant dire que ces actions sont trop faibles pour agir efficacement sur la forme et la densité des différentes parties de la ville

L’enjeu politico-financier du Schéma Directeur actuel consiste à trouver rapidement 2 GF de plus par an, soit 1,5% du budget transports des ménages franciliens. Ce pourcentage est faible, et pourrait provenir d’un nouveau service qui correspondrait à une attente des ménages et des entreprises de transports, sans que ce soit un impôt supplémentaire, dont les gens ne comprendraient pas l’usage.

Notons par ailleurs que l’indice des prix n’est plus le guide principal des décisions publiques dans notre domaine, et que les citoyens sont de plus en plus sensibles à l’amélioration de leur ville. Si on leur explique pour quel usage augmenter certains tarifs, ils seront prêts à l’accepter.

Les indicateurs de coût

 Millions de francs TTC par km

On notera que le terme de “coût de transport” doit être défini avec précision car il recouvre plusieurs notions complètement différentes :

  • le coût monétaire payé par le voyageur, qui correspond à la tarification mise en place par le transporteur (pour du transport en commun) et qui doit inclure le coût de stationnement pour les trajets en voiture ;
  • le coût monétaire ressenti par le voyageur, qui est celui qui va réellement déterminer la décision du voyageur sur son déplacement (mode, horaire, regroupement avec d’autres personnes ou annulation). Ce coût est différent du coût monétaire ressenti car interviennent des réductions, des remboursements directs par l’employeur, des remboursements indirects par les impôts ;
  • le coût monétaire ressenti augmenté d’une valeur représentant la pénibilité du trajet, évaluée par une “ valeur de temps ”multipliée par le temps de transport. Cette somme est censée représenter la véritable évaluation du coût du trajet pour le voyageur ;
  • le coût monétaire pour la collectivité, somme des coûts monétaires des voyageurs (hors remboursement) et des coûts que payent les contribuables à travers les subventions que la collectivité verse aux opérateurs du transport (subvention à la SNCF, RATP, lignes privées, construction et entretien des routes…) ;
  • le coût global pour la collectivité, somme du coût précédent et du “ coût du temps ”passé dans les transports, évalué par application de valeurs tutélaires (=décidées par l’Etat) à des temps estimés statistiquement.Il est clair aussi que la décision du voyageur est prise en fonction des échelles relatives de ses coûts ressentis et que, tant que ses échelles relatives seront loin de celles de la collectivité, les comportements individuels ne seront pas spontanément orientés vers un optimum global.Les paramètres non monétairesLes Franciliens effectuent quotidiennement 22 millions de déplacements motorisés, dont la durée moyenne est de 30 minutes environ. Si l’on retenait la valeur tutélaire de 75 F pour estimer le coût du “temps passé” dans les transports, on obtiendrait une somme de 300 GF, une fois et demi supérieure à la totalité des dépenses réelles monétaires, et 14 % du PIB de l’Ile-de-France ! Il serait bien sur ridicule de s’appuyer sur une telle estimation pour prendre des décisions concrètes.Une récente étude anglo-saxonne, recoupant celle de P.Bovy et I. Salomon, évalue en Europe à 0.25% du PIB la perte économique ( = “temps gaspillé”) due aux embouteillages routiers. Si l’Ile-de- France était dans la moyenne, cela l’évaluerait à 5 GF par an. Etant donné qu’elle concentre la majeure partie des embouteillages de France, nous n’hésiterons pas à doubler cette valeur, à 10 GF par an, ce qui est cohérent avec une valeur du temps moyenne de 40 F/heure.Avec le taux d’actualisation du Plan, le seul raisonnement économique justifierait des investissements physiques d’un montant total de 120 GF, sans coûts de fonctionnement afférents, pour supprimer cette cause de pertes récurrentes. Les inévitables coûts de fonctionnement liés à ces investissements supplémentaires limiteraient aux alentours de 100 GF le montant économique à investir immédiatement. Or on ne le fait pas : cela montre toute la difficulté d’affecter des dépenses monétaires publiques pour réduire des coûts non monétaires, principalement privés.

L’Ile-de-France

Le contexte général aujourd’hui

L’agglomération francilienne s’inscrit dans le cadre d’une compétition européenne, pour laquelle les capitales concurrentes investissent formidablement dans les infrastructures de transports. Berlin, Milan, Lisbonne, Barcelone, …se sont transformées récemment, en se concentrant sur la zone (ou les zones) reliant aux aéroports le cœur historique de la ville et les quartiers en évolution dynamique. Il nous faut agir, comme eux !

Quels sont les traits dominants du système actuel ?

L’aspect technique

  • Le trafic de l’Est de la région est beaucoup plus chargé en poids lourds que celui de l’Ouest, et nettement plus saturé, à toute heure de la journée ;
  • le problème routier majeur de l’Est est le tronc commun A4 – A86, comme on l’avait prévu il y a vingt ans ;
  • la saturation des grands axes est considérablement accrue lorsque l’on mélange sur la même voirie des trafics très différents comme les VL et les PL. Ceci résulte du différentiel de vitesses instantanées et des risques d’accidents qui en résultent ;
  • le tunnel PL d’A86 Ouest s’inscrit dans la logique de contournement de l’agglomération (le triangle Poids Lourds). Le tunnel VL (petit gabarit ) se justifie à péage car la zone est riche, et si on ne fait pas payer ici, on ne le fera pas ailleurs. L’Est, gratuit, sera logiquement favorisé par rapport à l’Ouest ;
  • le tronc commun A 4 – A 86 dans le secteur bois de Vincennes-Joinville-Nogent est quasiment un point obligé pour les PL car A86 entre A6 et A1 fonctionne comme une radiale traversant l’axe industriel et commercial de la région parisienne. La seule alternative est constituée par le périphérique est entre B6 (la porte d’Italie) et A 3 (la porte de Bagnolet), la première autoroute à être saturée le matin.L’aspect financier : financement, péages et réglementation.
  • Il est impossible de financer les nouvelles infrastructures routières nécessaires avec les seuls crédits publics, et les exigences de sécurité des fonds privés exigent des sociétés privées en excellente santé financière et visant le long terme (fonds de pension, par exemple) pour réaliser ce type d’investissement. Il y en a fort peu ;
  • politiquement il est impossible de créer rapidement des autoroutes à péage dans l’Est, avant d’avoir bien démonté le mécanisme psychologique et comportemental vis-à-vis du péage, qui sera testé dans l’Ouest par A 86 après A 14 ;
  • le péage urbain généralisé est un monstre technique, qui a très peu de chance d’être mis en œuvre rapidement à cause de ses difficultés pratiques, juridiques et politiques, sauf à utiliser une “vignette ”spécifique à l’Ile-de-France ;
  • à l’Est, le seul péage qui serait politiquement acceptable et même porteur consisterait à faire payer les poids lourds. Le péage urbain se simplifie considérablement si on diminue le nombre de véhicules concernés et si ceux-ci font partie d’une catégorie et d’une corporation homogène ;
  • les transporteurs routiers font partie d’une catégorie “sensible ” qui a ses propres besoins et ses propres contraintes. Parmi les contraintes il y a le facteur temps (flux tendus à l’extrême) et le facteur coût car le milieu est hyper concurrentiel, non pas avec les autres moyens de transports mais dans le même milieu. C’est la raison pour laquelle la logique du consentement à payer doit être étudiée finement, avec les transporteurs eux-mêmes ;
  • une règle (péage, interdiction) a plus de chance d’être acceptée si elle doit s’appliquer à tous, sans exception. La modulation du tarif kilométrique en fonction de la distance autorise une segmentation de la clientèle qui va dans le sens d’un allégement du trafic poids lourds sur les routes, et d’une taxation plus juste des trajets longue distance, qui utilisent plus de services que ceux à courte distance ;
  • les seules mesures spécifiques aux PL qui sont prises consistent en des interdictions ce qui n’est pas très valorisant pour la profession. L’introduction de voies réservées aux PL changerait psychologiquement beaucoup de choses même si ces voies sont à péage.Trouver des recettes complémentaires dans le futur : quelles idées ?Pour trouver de l’argent, la demande de déplacement automobile est une source classique. Tout le problème consiste à éviter que cet argent ne retombe dans le budget général de l’Etat, qui sait mal protéger une fonction “investissement ” devant la demande infinie du “fonctionnement ”. Le péage de zone, le péage de congestion, la vignette autoroutière, et le péage sur voies rapides urbaines sont des idées de péage complémentaire.L’analyse détaillée de ces différentes sources potentielles montre que l’espoir est faible d’en tirer des recettes importantes, car, quel que soit le principe retenu, la zone taxée sera la banlieue, et la zone bénéficiaire sera la zone dense, qui est déjà la mieux lotie en richesse et moyens de transports : c’est politiquement délicat.Le péage de zone d’Oslo est souvent cité comme exemple d’un péage engendrant une action combinée sur l’urbanisme, le transfert modal et la modération de la circulation. En fait, le processus est inverse. Après avoir décidé un plan d’urbanisme et de déplacements (le but principal était de relier par voie routière à grand gabarit la zone Ouest (résidentielle) à la zone Est (industrielle) pour éviter que le trafic automobile et poids lourds ne traversent le centre ville), la ville d’Oslo a cherché des ressources financières, consulté l’Etat et sa population.L’Etat norvégien a subordonné sa participation à la mise en place d’un péage, et la population a accepté cette modalité. Le cordon mis en place englobe les quartiers pauvres de la ville (ce qui ne pourrait pas être le cas à Paris ). Ce péage de zone n’est donc qu’un péage de financement, dont les ressources ont été affectées à la route pour 70%, aux infrastructures de transport en commun pour le reste. Le coût de perception n’est pas négligeable, puisqu’il représente 12% des recettes.Si un péage de zone ou de voies rapides urbaines est mis en œuvre, il constituera de toute manière une ressource financière. Deux possibilités existent alors : soit le tarif est haut et le péage a une action de dissuasion d’itinéraire ou modale, soit le tarif est bas et il ne s’agit que d’un péage de financement. Mais qui proposera un péage engendrant une dissuasion ? C’est sur ce problème que le Dennis Package est tombé à Stockholm, malgré la très forte sensibilité écologiste du gouvernement socialiste de l’époque et un niveau de péage relativement faible (8 F par déplacement). Ajoutons qu’il faudrait faire en sorte que le report soit modal, et non vers des itinéraires secondaires. Une telle conséquence serait un contresens car les centre-villes seraient encore plus embouteillés, les autobus ralentis, et l’ensemble contribuerait à étaler la ville !

Une difficulté commune à tous les péages urbains : tarifer l’heure de pointe

En heure de pointe, deux concepts opposés s’affrontent.

Le concept économique de rareté de l’offre, qui pousse à faire payer au maximum l’automobiliste qui prend sa voiture en heure de pointe (surtout s’il est captif), et reporte sur les impôts et les reversements sociaux le rôle de redistribution économique des ressources.

Le concept politique, qui oblige à regarder dans le détail quels sont les gens qui prennent leur voiture à l’heure de pointe pour savoir si, réellement, ils y sont contraints, s’ils peuvent payer, ou modifier leur horaire, ou prendre le transport en commun (s’il existe). Ce sont précisément les gens captifs qu’il ne faut alors pas pénaliser financièrement.

Le premier concept conduit à sur-tarifer l’heure de pointe. Le second conduit à la sous-tarifer car le service rendu est moins bon, la clientèle est captive et, pour les liaisons banlieue-Paris, une taxation routière revient à faire payer par les gens qui habitent loin du centre, souvent pour des raisons de limitation de leurs revenus, la fluidité du réseau routier de ceux qui habitent près.

L’observation de nombreux itinéraires à péage existants nous a conduit à identifier deux paramètres essentiels pour la tarification : la fréquence d’usage de l’ouvrage et son degré d’obligation. A faible degré d’obligation, le premier concept prime sur le second. A fort degré d’obligation, on privilégiera le second. (Voir la revue Transports N° 385)

 

Un gisement inexploité de recettes : la tarification Ramsay-Boiteux sur les autoroutes

La conception de la tarification des péages sur les autoroutes françaises est encore basée sur un coût au km pur et dur. La seule originalité du péage autoroutier concerne les poids lourds : c’est la carte d’abonnement CAPLIS. Cette politique minimaliste vient probablement d’une vieille phobie des concessionnaires vis-à-vis du trafic lourd, à cause des surcoûts de maintenance de chaussées engendrés par les charges à l’essieu.

Or, en maintenant une grande partie du trafic lourd sur le réseau routier normal, cette politique, non seulement n’optimise pas les recettes qu’on pourrait attendre de ce trafic, mais en plus, elle fait supporter par l’Etat et les départements des dépenses de maintenance qui pourraient être, en partie, évitées si ce trafic était plus concentré sur les axes privilégiés que constituent les autoroutes.

La connaissance de la variation du consentement à payer en fonction de la distance rend possible la mise en place sur les autoroutes d’une politique commerciale incitative, non contrainte, ajustée sur la distance parcourue d’une façon non additive, afin de capter massivement et durablement le trafic lourd. La technologie le permet aujourd’hui.

Pour les concessionnaires existants, leur réseau autoroutier est leur bien unique et leurs coûts fixes sont très largement prépondérants par rapport aux coûts marginaux d’exploitation et maintenance liés au trafic. De plus leur seule concurrence réelle est le réseau routier non soumis au péage, notamment sur les trajets de faible et moyenne distances, car la concurrence théorique des autres moyens de transports, ferroviaires, fluviaux et aériens est en pratique très faible et porte uniquement sur des segments marginaux du transport.

Les autoroutes à péage n’étant pas saturées, à quelques exceptions près, on est dans le cadre parfait d’application de la tarification de Ramsay Boiteux, c’est-à-dire d’une tarification par segment de clientèle égale à la somme du coût variable et d’une partie des coûts fixes répartie de façon inversement proportionnelle à l’élasticité de la demande de chaque segment de clientèle.

La technologie actuelle permet aussi une facturation individualisée des poids lourds, même dans les zones urbaines où n’existent pas de barrières de péage. Alors que les 10 millions de véhicules fréquentant régulièrement les routes d’Ile-de-France représentent un défi technique insurmontable aujourd’hui, son application à la flotte poids lourds est possible.

Quelles seraient les réactions des transporteurs routiers?

C’est un milieu hyper concurrentiel et très fragmenté, qui considère les péages autoroutiers comme des surcoûts optionnels non prioritaires (sauf quand il existe des interdictions rendant l’autoroute obligatoire) qui sont retenus au coup par coup en fonction de l’importance du facteur temps (fiabilité et durée).

Cette tendance est probablement due au fait que les surcoûts de péage sont en général supérieurs au bénéfice net que le transporteur peut attendre de son transport et que seul un avantage concurrentiel peut infléchir une attitude de départ de refus. Or force est de constater que la politique tarifaire autoroutière utilisée va dans le sens d’une égalisation qui est contraire aux attentes de la clientèle. Seule exception notable dans les concessions routières françaises, le tunnel du Fréjus qui, étant en concurrence avec le tunnel du Mont-Blanc et le col du Mont-Cenis, a mis en place une politique commerciale agressive pour conquérir des parts de marché avec notamment des systèmes d’abonnement adéquats et ciblés par segment de clientèle et la création d’une vraie prime de fidélité qui n’est pas une prime de volume classique.

Principes d’une nouvelle tarification

Le premier principe est de raisonner en segments de clientèle potentielle et d’avoir une tarification adaptée à chaque segment. Il faut par exemple encourager plus la fréquentation des transporteurs locaux effectuant des trajets courts car les surcoûts (pour rejoindre le réseau par exemple) sont proportionnellement plus importants et les gains de temps plus faibles que sur les trajets de très longues distances. Notons que ces mesures permettraient aussi de rendre plus compétitives les entreprises nationales du fait qu’elles sont mieux positionnées géographiquement et mieux implantées en France.

Du fait aussi de l’extrême sensibilité du milieu et notamment des petits transporteurs (cf. les manifestations régulières des routiers français) on pourrait envisager de mettre en place une tarification plus “ sociale ” pour une clientèle à faibles revenus qui n’est pas captive.

Le deuxième principe doit viser à fidéliser la clientèle. Un bon moyen consiste, comme pour les compagnies aériennes, à fidéliser le conducteur qui est souvent partie prenante dans la décision d’utiliser ou non le tronçon à péage en lui attribuant des points. Mais il faut aussi fidéliser la société et pour cela lui attribuer des primes fonction de la réelle fidélité ou plus facilement en fonction de la régularité.

Le troisième principe doit encourager l’utilisation du réseau en créant par exemple des forfaits d’utilisation par tranches kilométriques, donnant droit à des réductions par rapport aux tarifs de base.

Le quatrième principe conduirait à créer un système de bonus, qui pourrait être relié aux autres réductions/primes, et qui dépendrait du respect des règles de circulation et de bonne conduite sur autoroutes par l’ensemble des véhicules de la flotte abonnée.

Le cinquième principe relierait la tarification à la qualité du service réellement rendu, par exemple en terme de temps de parcours en attribuant des points pour compenser les cas non prévisibles de mauvaises conditions de circulation.

Une telle politique commerciale devrait pouvoir accroître les recettes des sociétés autoroutières de plusieurs milliards (3 à 4 probablement). Regardons simplement le trafic poids lourds sur A 14 (graphique n°7). L’examen du graphique se passe de commentaires : il n’y passe que 1 000 poids lourds par jour, contre 22 000 voitures. La grande majorité du trafic lourd est resté sur A 13. La tarification actuelle est-elle astucieuse, pour une liaison La Défense-Orgeval qui a coûté presque 10 milliards ?

Un gisement inexploité de réduction de coûts

Bien que cet objectif fasse partie de toutes les études de projet, il est rarement étudié d’un point de vue global. Un exemple fondamental concerne le gabarit des nouveaux ouvrages à réaliser. Les mini souterrains des années 70 ainsi que le tunnel à gabarit réduit d’A86 Ouest ont montré la voie. Sauf exception, il n’y a plus en zone dense (à l’intérieur du triangle poids lourds), de besoins en voirie tous types de véhicules, celles existantes étant suffisantes. Tout doublement peut donc y être réalisé à caractéristiques VL, et en souterrain si la qualité de l’urbanisme l’exige. Les besoins de pointe peuvent tous être traités avec des voiries pour véhicules de faible gabarit. Pourtant, on constate que la plupart des grands projets sont encore dimensionnés pour les PL, le tunnel A 86-A 4 en étant le meilleur (ou le pire) exemple. Dans ce cas, les emprises existantes permettraient même la mise en place d’une barrière de péage PL si une grande partie du trafic VL était enterrée.

Un autre concept pourrait aussi être développé : celui de la spécialisation des voies entre VL et PL, lorsque le niveau de trafic le justifie. En effet, en ville, la capacité des voiries ne dépend pas de leur section courante mais des points singuliers que constituent les convergences ou divergences ou, pire, les sections d’entrecroisement. Or dans ces points singuliers l’homogénéité des vitesses est fondamentale notamment pour une bonne intégration et une optimisation des accélérations, décélérations. Faute de pouvoir créer des voies d’accélération – décélération ou d’entrecroisement de longueurs suffisantes, il est évident que ces notions sont beaucoup plus faciles à gérer lorsque les véhicules sont de même catégorie (VL-VL ou PL-PL).

De ces principes il découle qu’il y aurait intérêt à concentrer les PL sur quelques axes (corridors) très limités traversant le cœur des pôles logistiques et les reliant aux grands axes nationaux et internationaux que constituent les autoroutes existantes. A l’évidence l’autoroute A86 Est entre A6 et A1, qui fonctionne à la fois comme une rocade et une radiale pour le trafic lourd, est parfaitement adaptée pour jouer ce rôle à condition d’en reporter sur certains tronçons le trafic léger vers d’autres voiries existantes ou à créer. Le BP devrait lui être spécialisé pour le trafic léger.

Ce principe de spécialisation des voies est identique à celui retenu par la SNCF pour les grands axes avec la création du réseau TGV ou en région parisienne avec le RER.

Une proposition technique

A la suite de tout ce que nous avons vu, la proposition est fort simple. Il s’agit de réaliser le triangle poids lourds, comme suit (carte n°1) :

  • coté Nord-Sud : aménager le tronc commun A 86-A 4 avec un tunnel à gabarit VL ;.
  • coté Sud : finir le sempiternel chantier de A 86 à Fresnes et Antony ;
  • liaison Roissy-St Quentin : poursuivre le plus loin possible le boulevard du Parisis, passer en souterrain de Groslay à Epinay, puis Gennevilliers, et finir A 86 jusqu’à St Quentin.Un tel schéma aurait l’avantage de régler le problème de l’arrivée d’A 16 (diffusant sur le Boulevard Intercommunal de Parisis), de la saturation de la zone d’Epinay et de la jonction entre la Défense et Roissy.A l’intérieur du triangle, on construit les transports en commun nécessaires ( tramways, métros, voies réservées bus…), et des voies à petit gabarit (carte n°2).Progressivement A86 pourrait être doublée, à un coût raisonnable, dans l’Est parisien de A6 à A1 par une voie VL en grande partie enterrée (sauf lorsqu’il sera possible d’utiliser une voirie existante comme la Voirie Départementale à Créteil). La voirie existante de surface serait (totalement ou partiellement suivant les emprises existantes) dédiée, durant la journée, aux PL et mise à péage. La voirie souterraine, dédiée aux VL, serait gratuite. La nuit, la voirie souterraine serait fermée la plupart du temps pour des raisons d’économie ou ouverte lors des périodes de maintenance sur la voirie de surface. La nuit, la voirie de surface serait gratuite, ce qui encouragerait les PL à décaler leurs horaires (du moins ceux qui le peuvent). Une partie des emprises récupérées en surface pourrait être utilisée pour la réalisation d’écrans phoniques conçus pour les PL.L’objectif final serait d’interdire le périphérique aux PL en transit et même plus largement les voies rapides intérieures à A86, à l’achèvement d’A 86 PL Est. Ceci rendrait inutile le doublement du périphérique dans sa partie sud et augmenterait d’autant la rentabilité du péage sur A 86 PL.Enfin l’idéal serait d’associer les transporteurs routiers (à travers leurs fédérations et coopératives) à la concession de ces travaux afin qu’une partie des recettes (celles en provenance des péages payés par les non associés) vienne compenser en partie les péages des associés. Car, comme les constructeurs, ils devraient eux aussi être les principaux intéressés à pouvoir contrôler leur avenir.

Conclusion

  • L’Ile-de-France a encore besoin d’une petite centaine de kilomètres de voies rapides routières, dont la majorité à gabarit VL, et dont le coût total serait de l’ordre de 75 GF. Si ces routes sont réalisées trop lentement, elles perdent leur sens urbain car la ville se transformera sans elles, allant vers des densités de plus en plus basses, à l’américaine. Avant que les travaux qu’il finance ne commencent, le péage urbain a mis 10 ans à être accepté politiquement en Norvège. Il a été rejeté en Suède après des années de discussions, et Paris n’est pas Singapour : l’Ile-de-France n’est pas prête à supporter la fermeté de gestion de l’espace public que l’exiguïté de l’île rend obligatoire. Le processus paraît donc trop long, l’étalement de la ville continuera tant qu’on n’aura pas résolu les points noirs d’embouteillage dans les zones denses. La croissance continue du logement individuel neuf par rapport au logement collectif montre l’urgence qu’il y a à agir !A notre avis il est possible de trouver le moyen de financer 25 GF par le péage d’ouvrage, bien tarifé évidemment. Ce montant correspond à environ 1,7 GF de recettes par an. Mais, de toute manière, des fonds publics ou des garanties de recettes à hauteur de 50 GF sont indispensables. Certaines sociétés privées particulièrement robustes peuvent intervenir en financement long

“ corporate ” sur une partie du réseau.

Par ailleurs, la situation des sociétés d’économie mixte gestionnaires des autoroutes de rase campagne est globalement saine. A condition de cesser de construire des autoroutes onéreuses dans les zones peu peuplées, de mettre en place une nouvelle tarification et un allongement de la durée de leurs concessions (en cours d’étude à ce jour), le système des SEMCA peut fournir des sources de financement supplémentaires. Soit ces revenus seront reversés sous forme de dividendes au Ministère des Finances, soit ils pourraient servir de garantie ou d’alimentation pour un fonds spécial destiné aux ouvrages urbains. Une société publique spécifique (à la norvégienne) pourrait être créée si on veut conserver l’affectation stricte de ces recettes aux réseaux de transport.

Du point de vue politique, l’affectation de “recettes de rase campagne” des sections déjà amorties financièrement au réseau urbain ne pose pas plus de problèmes que leur affectation à des zones non rentables de rase campagne. Cela n’est que la répétition de ce qui a été fait avec A 14 et A 46. Il s’agit simplement d’avoir une vision globale pour la France de l’utilisation des recettes de péage, et de ne pas se laisser enfermer dans des lois et procédures anciennes, mises en place il y a 50 ans et dont le rôle n’est plus forcément pertinent.